Le gouvernement libéral canadien, pro-guerre et pro-austérité, a réussi, de connivence avec ses alliés de la bureaucratie syndicale et du Nouveau Parti démocratique, à forcer l’acceptation d’un contrat pour 7400 dockers de la côte ouest de la Colombie-Britannique qui ne répond pas à leurs justes demandes d’augmentations de salaire réel et de protection contre les pertes d’emploi dues à l’automatisation et à la sous-traitance.
Après une grève courageuse de 13 jours début juillet et le rejet d’un accord de capitulation dicté par le gouvernement à la fin du mois dernier, 74 % des travailleurs qui ont voté ont accepté essentiellement les mêmes conditions lors d’un vote de ratification qui s’est tenu jeudi et vendredi derniers.
Ce vote n’avait rien de démocratique. Il a été imposé par le gouvernement et son Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) au moyen de menaces et de décisions antidémocratiques, et accepté docilement par les dirigeants de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU). Le ministre du Travail, Seamus O’Regan, a clairement indiqué qu’un nouveau rejet de l’accord déclencherait l’intervention du gouvernement pour criminaliser toute nouvelle grève, que ce soit par le biais d’une législation draconienne de retour au travail ou d’un autre mécanisme.
Malgré ces menaces, et alors que la bureaucratie de l’ILWU ne proposait aucune stratégie de victoire, plus de 25 % des membres qui ont voté ont rejeté l’accord de quatre ans, un chiffre important si l’on considère qu’un «non» dans ces conditions signifiait un défi politique direct au gouvernement libéral de Trudeau.
Les dockers et l’ensemble de la classe ouvrière doivent tirer des leçons politiques essentielles de cette expérience. Avant tout, les travailleurs du Canada doivent établir leur indépendance politique et organisationnelle vis-à-vis de la bureaucratie syndicale et des néo-démocrates et développer une contre-offensive de masse dirigée par les travailleurs dans toute l’Amérique du Nord pour s’opposer à l’austérité capitaliste, à la guerre et aux attaques contre les droits démocratiques et sociaux des travailleurs.
La première leçon est que chaque lutte majeure des travailleurs sur les salaires et les conditions de travail est en même temps une lutte politique contre l’ensemble de l’élite patronale, ses représentants politiques et l’État, et leur programme de guerre de classe. La classe dirigeante est déterminée à faire payer aux travailleurs la guerre impérialiste à l’étranger et l’amélioration de la «compétitivité» du capitalisme canadien, c’est-à-dire les profits des entreprises et l’accumulation de la richesse des super-riches, à l’intérieur du pays.
Ce fait a été particulièrement évident lors de la lutte des dockers, qui représentait un défi objectif à la guerre menée par la classe dirigeante contre la Russie et à la préparation de la guerre contre la Chine. En perturbant les chaînes d’approvisionnement nord-américaines, les dockers ont entravé la livraison d’équipements militaires et d’autres matériels destinés à l’effort de guerre des impérialistes et ont sapé les tentatives des gouvernements d’Ottawa et de Washington de consolider un réseau continental de chaînes d’approvisionnement visant à fournir la base économique et logistique nécessaire pour mener des guerres commerciales et militaires contre les grandes puissances rivales.
Le caractère politique de la lutte menée par les dockers a été rendu explicite par l’intervention précoce du gouvernement libéral dans le processus de négociation. O’Regan s’est rendu à Vancouver avant le déclenchement de la grève le 1er juillet et a promis de ne pas quitter la ville tant qu’une entente de principe n’aurait pas été conclue. Pour mettre rapidement fin à la grève, il a invoqué l’article 105 (2) du Code canadien du travail, donnant à un médiateur 24 heures pour rédiger les termes d’un accord de principe et aux parties 24 heures pour l’accepter.
La direction de l’ILWU s’est pliée à cet ultimatum scandaleux, mais les délégués syndicaux du Longshore Caucus ont ensuite répudié l’accord de principe imposé par le gouvernement, sous la pression massive de la base. O’Regan s’est alors tourné vers le CCRI non élu, l’incitant à émettre une «mise en demeure» d’urgence lorsque les dockers reprendraient le mouvement de grève.
Pendant tout ce temps, O’Regan a maintenu la menace imminente d’une loi de retour au travail en arrière-plan, soulignant que les dockers se heurtaient au gouvernement et à l’ensemble des pouvoirs à la disposition de l’État capitaliste. O’Regan n’a pas caché pourquoi c’était le cas, déclarant très tôt que la grève menaçait «l’intérêt national», c’est-à-dire les intérêts fondamentaux de l’impérialisme canadien. De puissantes sections de l’élite patronale, comme l’organisation des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, demandent maintenant au gouvernement d’aller encore plus loin et de criminaliser les futures grèves sur les quais et dans d’autres industries considérées comme des «infrastructures essentielles».
La lutte des dockers a également mis en lumière le fait que la direction de l’ILWU et la bureaucratie syndicale dans son ensemble sont étroitement liées au gouvernement libéral et à l’appareil d’État. Tout au long du conflit, la bureaucratie de l’ILWU s’est pliée sans broncher à tous les ultimatums du gouvernement, qu’il s’agisse de la suspension initiale de la grève, de l’obligation faite aux membres de voter sur l’accord de capitulation initialement rejeté par le Longshore Caucus, ou du vote final sur un accord pratiquement identique dicté par le CCRI.
Elle l’a fait parce que sa principale préoccupation était de défendre le système de «négociation collective» nationaliste et pro-patronal sur lequel reposent ses privilèges et par lequel elle impose les diktats des grandes entreprises aux travailleurs. La bureaucratie syndicale était également terrifiée à l’idée qu’une confrontation directe avec le gouvernement libéral puisse déclencher un soulèvement massif de la classe ouvrière qu’elle aurait eu du mal à contrôler et qui aurait déstabilisé dangereusement le capitalisme canadien. Comme l’a expliqué le Parti de l’égalité socialiste dans une déclaration sur la lutte des dockers, «les conditions sont extrêmement favorables au développement d’un mouvement aussi large au sein de la classe ouvrière. Une vague de grèves se développe actuellement à travers l’Amérique du Nord...»
L’ILWU n’a proposé aucune stratégie aux travailleurs pour faire face aux attaques du gouvernement, même s’il a dû admettre que la stratégie de négociation de la BC Maritime Employers Association reposait sur l’intervention du gouvernement pour briser toute grève. Aucune section de la direction de l’ILWU n’a appelé les dockers des États-Unis à se joindre à la lutte, bien qu’ils soient membres du même syndicat, qu’ils travaillent sans contrat depuis un an et qu’ils soient également confrontés à la menace d’une intervention gouvernementale anti-grève.
Au contraire, l’ILWU a travaillé sans relâche pour maintenir les deux luttes hermétiquement isolées, notamment en acceptant, sous la pression de l’administration Biden, de conclure un accord de principe avec la Pacific Maritime Association immédiatement avant le début de la grève au Canada, afin d’empêcher une lutte commune et la fermeture de tous les ports de la côte ouest. Les bureaucrates de l’ILWU n’ont pas non plus appelé à l’élargissement de la grève à d’autres catégories de travailleurs à travers le Canada, qui ont tous intérêt à faire échec à l’assaut des grandes entreprises contre les salaires, les emplois et les conditions de travail, ainsi qu’à la criminalisation toujours plus grande des luttes des travailleurs.
La bureaucratie syndicale dans son ensemble a veillé à ce que les dockers restent isolés dans les conditions de la plus grande vague de grève en Amérique du Nord depuis des décennies. Cette vague de grèves prend la forme d’une rébellion des travailleurs de la base contre la bureaucratie, qui s’exprime par une série de rejets de contrats de principe soutenus par le syndicat. Le Congrès du travail du Canada (CTC), l’un des principaux piliers du gouvernement Trudeau, a refusé de lancer un appel aux millions de travailleurs qu’il prétend représenter pour qu’ils prennent des mesures de solidarité en faveur des grévistes. Au lieu de cela, pour soutenir O’Regan alors qu’il saccage les droits démocratiques des travailleurs et aide les géants du transport maritime avides de profits à imposer leurs exigences aux travailleurs, le CTC a publié une note de félicitations lorsque le ministre du Travail a conservé son poste lors du récent remaniement ministériel de Trudeau.
La conclusion qui doit être tirée de ces expériences est que les travailleurs doivent de toute urgence établir leur indépendance politique et organisationnelle par rapport à l’alliance entre les libéraux, les syndicats et le NPD. Cette alliance agit pour étouffer la lutte des classes et imposer les diktats des grandes entreprises sous le couvert de politiques «progressistes» et «favorables aux travailleurs».
Trudeau a lancé une tirade lorsque le contrat initial dicté par le gouvernement a été rejeté au milieu de la colère générale de la base, tonnant qu’il était «inacceptable» que les travailleurs votent contre des contrats convenus entre des ministres du gouvernement, des bureaucrates syndicaux et des dirigeants d’entreprise.
Les libéraux et le NPD ont conclu une alliance gouvernementale formelle depuis plus d’un an, dans le cadre de laquelle les sociaux-démocrates donnent aux libéraux les voix et la «stabilité politique» dont ils ont besoin pour mener à bien un programme de réarmement massif, une austérité «post-pandémique» et un assaut sur les droits des travailleurs. Pendant la lutte des dockers, le premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, David Eby, a pris à plusieurs reprises le parti des employeurs, dénonçant la grève pour avoir perturbé l’économie et exhortant le gouvernement fédéral à intervenir.
Les syndicats, à la demande desquels le NPD a conclu son accord de «confiance et d’approvisionnement» avec Trudeau peu après l’éclatement de la guerre entre les États-Unis et l’OTAN et la Russie, ont été des partenaires clés des libéraux depuis que Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015. Ils ont soutenu la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain pour consolider un bloc commercial protectionniste et ont été le fer de lance de la campagne de retour à l’emploi pendant les deux premières années de la pandémie de COVID-19, qui a fait des milliers de victimes.
Pour s’opposer aux politiques nationalistes et pro-impérialistes traitresses défendues par les syndicats et le NPD, les travailleurs ont besoin d’une stratégie internationaliste et socialiste. C’est ce qu’a souligné avec force la lutte des dockers, qui n’aurait pu réussir contre les géants mondiaux du transport maritime que si elle avait été coordonnée à l’échelle du continent et au niveau international.
Aujourd’hui encore, le fait que l’ILWU n’ait pas réussi à imposer aux 22.000 dockers de la côte ouest américaine un accord de principe dicté par la Maison-Blanche pourrait raviver la lutte, puisqu’une grève des dockers américains mettrait immédiatement leurs collègues canadiens dans l’obligation de se joindre à la grève pour mettre fin au détournement des marchandises. Les 170.000 travailleurs de l’automobile en pleine lutte contractuelle aux États-Unis et au Canada sont confrontés à la même nécessité d’organiser une lutte commune et transfrontalière pour contrer l’assaut des patrons de l’automobile, qui cherchent à se décharger des coûts de la transition vers les véhicules électriques sur le dos des travailleurs.
Une telle coordination internationale est impossible par le biais des syndicats pro-capitalistes et de leurs appareils bourrés de fonctionnaires grassement payés. Ils sont liés à leurs «propres» États-nations et à l’élite patronale. Les dockers et l’ensemble de la classe ouvrière doivent donc se défaire de l’emprise étouffante de l’appareil syndical en créant des comités de base pour placer la prise de décision entre les mains des travailleurs eux-mêmes et permettre l’organisation de grèves et d’autres actions militantes au-delà des frontières nationales. C’est l’objectif de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base, qui se bat pour développer un réseau mondial et une direction politique afin de guider vers la victoire les luttes de la classe ouvrière qui s’intensifient rapidement.
(Article paru en anglais le 9 août 2023)