Le gouvernement libéral du Canada a présenté la semaine dernière une « mise à jour de la politique de défense » qui promet des dizaines de milliards de dollars d'augmentation des dépenses militaires et décrit les plans d'acquisition d'une vaste gamme de nouvelles armes pour s'assurer que les Forces armées canadiennes (FAC) ont les moyens de faire la guerre dans le monde entier.
Intitulée « Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada », cette mise à jour se distingue par l'ampleur des intérêts, des ambitions et des engagements stratégiques de la classe dirigeante qu'elle décrit. Invoquant la « population diversifiée du Canada, sa présence mondiale étendue et ses liens commerciaux », elle affirme que le Canada doit avoir les capacités militaires – en collaboration avec les États-Unis et ses autres alliés impérialistes de l'OTAN et des Five Eyes – pour faire la guerre sur tous les continents et tous les océans afin de maintenir la « stabilité mondiale » et un « ordre international » imposé par l'Occident. L'espace et le cyberespace sont également identifiés comme des arènes clés de conflits militaires auxquels le Canada doit se préparer.
Comme la déclaration de politique de défense de 2017 sur laquelle elle s'appuie, la mise à jour n'est pas une évaluation de la stratégie nationale. Mais elle expose une vision prédatrice et militaro-stratégique. « L'instabilité au pays et à l'étranger croît rapidement », affirme le document. Si l'impérialisme canadien veut assurer sa position mondiale, il doit être au centre du conflit mondial croissant qui oppose les États-Unis, « notre plus proche allié », à la Russie et à la Chine.
Le Canada, affirme la mise à jour, est au cœur des « flancs occidental » et « septentrional » de l'OTAN dans la guerre contre la Russie déclenchée par les États-Unis et l'OTAN. En outre, en tant que « pays de l'Atlantique et du Pacifique qui partage un continent avec les États-Unis, le Canada se trouve au centre géographique » de la « concurrence stratégique [...] centrée sur les régions euro-atlantique et indo-pacifique » qui « définira » l'« avenir » du monde.
Comme l'observe la mise à jour, le Canada est déjà profondément impliqué dans la guerre en Ukraine, dans l'offensive militaro-stratégique menée par les États-Unis contre la Chine, y compris les « opérations de liberté de navigation » provocatrices dans la mer de Chine méridionale et le détroit de Taïwan, et dans les guerres et intrigues de Washington au Moyen-Orient. Comme Washington, Ottawa a fourni à Israël des armes et un soutien politique alors qu'il massacre les Palestiniens à Gaza et poursuit son agression au Moyen-Orient. Outre la Russie et la Chine, la mise à jour désigne spécifiquement l'Iran et la Corée du Nord comme des menaces stratégiques pour le Canada.
Bien qu'elle ne le dise pas en des termes aussi précis, la mise à jour indique clairement que le Canada est déjà en guerre et qu'il doit rapidement accélérer et étendre ses préparatifs pour faire la guerre. Elle réitère la promesse maintes fois répétée d'Ottawa de soutenir militairement l'Ukraine aussi longtemps qu'il le faudra, affirmant que « les enjeux ne pourraient être plus importants ». Il souligne également le rôle du Canada dans la direction des forces « avancées » de l'OTAN en Lettonie, où le déploiement actuel des FAC doit être plus que doublé pour atteindre 2300 hommes d'ici 2026, ainsi que l'importance de renforcer considérablement la capacité de l'armée à frapper la Russie à partir du Grand Nord canadien.
Elle fait également référence à plusieurs reprises à la nécessité pour les FAC d'appliquer les « leçons tirées » de la guerre en Ukraine. Tirer ces leçons fait partie des objectifs spécifiques du pacte militaire et de sécurité Canada-Ukraine récemment conclu pour une durée de 10 ans.
Citant la guerre en Ukraine ainsi que les pénuries causées par la perturbation des chaînes d'approvisionnement due à la pandémie COVID-19, la mise à jour souligne la nécessité de développer de nouvelles technologies, y compris des applications militaires de l'IA, et la capacité militaro-industrielle du Canada. La guerre « a confirmé la nécessité de grandes forces et d'une puissance de combat, bien approvisionnées par des stocks permanents de munitions et de pièces de rechange, soutenues par une solide infrastructure industrielle pour se réarmer au fil du temps ». Deux objectifs immédiats énoncés dans la mise à jour et directement liés à la guerre en Ukraine sont l'augmentation de la production de munitions au Canada et la création d'une « plus grande réserve stratégique de munitions tactiquement décisives ».
Comme le suggère son titre, la mise à jour de la politique de défense met l'accent sur la nécessité d'accroître considérablement les capacités militaires du Canada dans le Grand Nord, afin de contrer à la fois la Russie et la Chine. Le document indique qu'en raison du changement climatique, le « passage du Nord-Ouest » (un chenal maritime que le Canada considère comme ses eaux intérieures mais dont la souveraineté est contestée par les États-Unis) pourrait devenir, d'ici 2050, le chemin le plus court entre l'Asie de l'Est et l'Europe.
L'expansion des prouesses et de la portée militaires du Canada dans l'Arctique s'inscrit dans le cadre de l'engagement pris par Ottawa de « moderniser » le NORAD, le commandement conjoint canado-américain de la défense aérospatiale et maritime, en vue de la « concurrence stratégique » des grandes puissances au XXIe siècle.
Créé en 1958 au plus fort de la guerre froide, le NORAD, comme s’en vante le document, est le seul commandement militaire binational au monde. L'année dernière, le gouvernement Trudeau s'est engagé à consacrer 38 milliards de dollars canadiens à la modernisation du NORAD au cours des 20 prochaines années. La mise à jour présente d'autres mesures visant à renforcer les capacités du Canada et du NORAD dans le Grand Nord. Il s'agit notamment de mettre en place un réseau de « centres de soutien opérationnel dans le Nord », de construire une station satellite au sol dans l'Arctique, d'acquérir des avions d'alerte précoce et de déployer de nouveaux capteurs maritimes spécialisés sur les navires de l'Arctique et d'autres navires au large des côtes.
« Notre Nord » souligne l'importance du NORAD pour le partenariat économique et militaro-stratégique canado-américain qui, depuis 1940, constitue la pierre angulaire de la stratégie mondiale de l'impérialisme canadien. L'hégémonie mondiale des États-Unis étant menacée et Washington répondant par des politiques protectionnistes et unilatérales qui ébranlent fréquemment ses alliés, la classe dirigeante canadienne est d'autant plus soucieuse de maintenir les liens les plus étroits avec Washington et Wall Street. Ses stratèges affirment souvent que le Canada doit défendre en tandem une stratégie de « l'Amérique du Nord d'abord » et de « la forteresse Amérique du Nord ». Bien qu'Ottawa évite publiquement ce type de langage, espérant défendre l'OTAN et d'autres institutions et cadres multilatéraux, sa position par défaut est de s'accrocher aux États-Unis.
Dans le même ordre d'idées, la mise à jour sur la défense souligne que des défenses nord-américaines solides sont essentielles à la capacité des deux puissances impérialistes nord-américaines d'exercer leur pouvoir et de faire la guerre dans le monde entier. « La sécurité en Amérique du Nord », affirme le document, « crée des dilemmes stratégiques pour les adversaires et permet au Canada de renforcer ses alliés en cas de crise ou de conflit. »
La mise à jour de la politique a annoncé des dépenses militaires supplémentaires de 8 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années et de plus de 72 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années. Ces sommes s'ajoutent aux sommes énormes que le gouvernement Trudeau a déjà consacrées dans le cadre de la politique de défense de 2017, qui annonçait des plans visant à augmenter les dépenses militaires du Canada de 70 % d'ici 2026.
Depuis lors, le gouvernement libéral soutenu par les syndicats et le Nouveau Parti démocratique s'est lancé dans une campagne d'armement massive, avec en tête de liste de nouvelles flottes de 15 navires de guerre, 88 avions de chasse F-35 et des drones d'attaque.
Ces nouvelles dépenses feront passer le budget de la défense du Canada de 30 milliards de dollars environ par an à 49,5 milliards de dollars d'ici 2029-30. Cela représente une augmentation de 1,33 % du produit intérieur brut (PIB) à 1,76 %. Si l'on incluait les dépenses liées à la défense dans d'autres ministères, a déclaré un représentant du gouvernement au Toronto Star, les dépenses globales du Canada seraient « de l'ordre de 57,8 milliards de dollars » en 2029-30.
Parmi les nouvelles initiatives majeures annoncées dans la mise à jour, on peut citer
L'achat d'une nouvelle flotte d'hélicoptères d'attaque pour un coût de plus de 18 milliards de dollars
La mise en place d'un système mondial de communications militaires par satellite, pour un montant de 5,5 milliards de dollars
L'acquisition d'une capacité de missiles à longue portée, 2,6 milliards de dollars
La création d'un commandement cybernétique conjoint des Forces armées canadiennes et du Centre de la sécurité des télécommunications, la composante canadienne du réseau d'espionnage mondial Five Eyes, afin de mener des opérations offensives et défensives de cyberguerre à l'échelle mondiale, 2,8 milliards de dollars.
« Notre Nord » annonce également que les Forces armées canadiennes étudieront l'adoption d'une vaste gamme de systèmes d'armes supplémentaires, notamment des sous-marins de remplacement plus avancés, des chars et des véhicules blindés tout-terrain.
Se félicitant de cette mise à jour de la politique, l'ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, a déclaré qu'il s'agissait d'un « acompte substantiel sur la promesse du Canada de respecter son engagement envers l'OTAN de consacrer au moins deux pour cent de son PIB à la défense ». Tout en louant le rôle du Canada dans l'armement et l'entraînement des forces militaires du régime ukrainien d'extrême droite dirigé par Zelensky, Washington fait pression sur le gouvernement Trudeau pour qu'il augmente plus rapidement les dépenses militaires.
De manière significative, lors de la conférence de presse au cours de laquelle la mise à jour de la politique de défense a été publiée, le Premier ministre Trudeau a laissé entendre que le Canada envisagerait l'achat de sous-marins à propulsion nucléaire et a déclaré qu'il était en pourparlers pour rejoindre l'alliance militaire anti-Chine AUKUS (Australie, Royaume-Uni, États-Unis).
Un autre élément de « Notre Nord » mérite un bref commentaire. Conformément à la position politique du gouvernement, il tente de donner aux projets de guerre mondiale de l'impérialisme canadien un lustre de politique identitaire. Il promet que les Forces armées canadiennes intégreront « des perspectives de genre dans les opérations et les institutions militaires » et qu'elles donneront aux Inuits et aux autres peuples autochtones du Grand Nord un rôle majeur dans la militarisation de leurs terres ancestrales.
La mise à jour de la politique de défense du gouvernement libéral doit servir d'avertissement et d'appel à l'action pour la classe ouvrière. Au cours des derniers mois, toutes les grandes puissances impérialistes, y compris les États-Unis, le Japon, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, ont annoncé des budgets militaires records et des programmes pluriannuels visant à accroître considérablement leurs arsenaux de destruction massive. L'impérialisme canadien leur emboîte le pas.
En effet, la réponse des grands médias et de l'opposition conservatrice à l'annonce de l'affectation de dizaines de milliards supplémentaires pour faire la guerre a été de dire que c'était tout à fait insuffisant. Une trop grande partie de l'argent est budgétisée pour la prochaine décennie et les rangs de l'armée doivent être rapidement augmentés, ont-ils clamé. Le Globe and Mail, la voix traditionnelle de l'élite financière de Bay Street, a déclaré que le gouvernement avait fait « un travail passable en articulant les menaces croissantes pour la sécurité auxquelles le Canada est confronté », mais l'a réprimandé pour ne pas être passé immédiatement au niveau de référence de 2 % du PIB fixé par l'OTAN. « Des plans pour élaborer un plan, l'exploration d'options : tout cela ne fait que retarder les choses, et il faut agir. »
Les conservateurs dirigés par le populiste d'extrême droite Pierre Poilievre ont été encore plus cinglants, accusant le gouvernement de ne pas avoir remédié à « des années de négligence ». Le NPD a fait écho aux conservateurs, ajoutant seulement qu'ils étaient eux aussi responsables de la « négligence » du gouvernement à l'égard de l’armée. À l'instigation des syndicats, le NPD a réagi au déclenchement de la guerre en Ukraine provoquée par l'OTAN en concluant une alliance gouvernementale formelle avec Trudeau, afin de garantir à la classe dirigeante canadienne une « stabilité politique » dans la conduite de la guerre à l'étranger et l'imposition à la classe ouvrière d'une austérité « post-pandémique » et de réductions des salaires réels.
Dans le dos de la population, l'establishment politique et militaro-sécuritaire du Canada, comme celui de ses alliés, embrigade la population canadienne dans un conflit mondial qui a déjà entraîné une guerre avec la Russie, le génocide israélien soutenu par l'impérialisme à Gaza, et une campagne de provocation et de menaces américaines qui menace d'exploser en une guerre dans l'Asie-Pacifique.
Comme à deux reprises au cours du siècle dernier, le capitalisme en crise précipite l'humanité dans une guerre mondiale, mais aujourd'hui il s'agirait d'une guerre entre puissances dotées de l'arme nucléaire. Cela ne peut être arrêté qu'en insufflant au mouvement mondial croissant de la classe ouvrière contre l'austérité capitaliste, les attaques contre les droits sociaux et démocratiques et la guerre impérialiste une perspective socialiste révolutionnaire : la lutte pour le pouvoir des travailleurs et pour la fin du capitalisme, la cause première de la guerre, de l'inégalité sociale et de l'appauvrissement.
(Article paru en anglais le 16 avril 2024)