Selon une étude, les décès par opioïdes ont doublé au Canada au début de la pandémie de COVID-19

Une étude récente réalisée par des scientifiques de Unity Health Toronto et publiée dans le Journal de l'Association médicale canadienne a révélé que les décès prématurés liés aux opioïdes ont plus que doublé au Canada au début de la pandémie de COVID-19. Ils sont passés de 3007 en 2019 à 6222 en 2021.

En utilisant les données agrégées et stratifiées par âge et par sexe de l'Agence de la santé publique du Canada, qui répertorient 98 % de la population canadienne, l'étude a également révélé que plus d'un quart de ces décès sont survenus chez des adultes plus jeunes. En 2021, la proportion de décès liés aux opioïdes chez les personnes âgées de 20 à 29 ans était de 29,3 %. Par ailleurs, 29 % des décès sont survenus chez des personnes âgées de 30 à 39 ans, ce qui signifie que les moins de 40 ans, dans la force de l'âge, représentent près de 60 % de l'ensemble des décès liés aux opioïdes.

À la fin de l'année 2019, lorsque le COVID est apparu pour la première fois à l'échelle mondiale, le Canada était déjà en proie à une crise de toxicomanie. Le nombre de décès liés aux opioïdes a augmenté de près de 40 %, passant de 2470 en 2016 à 3447 en 2019. Les opioïdes peuvent provoquer une euphorie, l'une des principales raisons pour lesquelles ils sont consommés pour des raisons non médicales, mais ils peuvent également entraîner des difficultés respiratoires et la mort. Sur les quelque 600.000 décès imputables à la consommation de drogues dans le monde en 2019, près de 80 % étaient liés aux opioïdes.

Certains ont attribué l'augmentation soudaine du nombre de décès au Canada au cours de la période 2019-2021 aux mesures de santé publique prises au cours des premiers jours de la pandémie en cours. Il est suggéré que les fermetures de diverses formes et durées imposées dans certaines juridictions pendant cette période ont réduit l'accès aux programmes de réduction des risques et intensifié les niveaux d'anxiété dans les populations vulnérables, ce qui a conduit à une augmentation de la consommation de substances.

La tentative d'imputer aux efforts limités de lutte contre la pandémie des problèmes qui, en fin de compte, trouvent leur origine dans la priorité accordée par le système capitaliste aux profits des entreprises fait directement le jeu de l'extrême droite politique, dont la dénonciation démagogique de toutes les mesures de santé publique a ensuite été reprise par l'establishment politique et médiatique pour justifier sa politique du «laisser-faire».

Le Canada a été le pays le plus durement touché, en dehors de l'Asie, par l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2003. Des centaines de personnes ont contracté la maladie et 44 en sont mortes. Les professionnels de la santé ont tiré de précieux enseignements des mesures de santé publique, des restrictions de quarantaine et de la nécessité de promouvoir le bien-être collectif dans une situation de crise. Mais l'establishment politique a cavalièrement ignoré ces leçons dans les années qui ont suivi, laissant le Canada totalement dépourvu face à la pandémie.

Sous la pression massive de la classe ouvrière pour combattre la pandémie, comme l'a montré une série d'arrêts de travail sauvages au début de l'année 2020, notamment dans l'industrie automobile, les gouvernements du Canada et du monde entier ont adopté par intermittence une série de mesures désordonnées dont le principal objectif était d'assurer la poursuite des profits des entreprises. Les plus vulnérables de la société et ceux qui luttaient déjà pour se frayer un chemin dans des conditions économiques incertaines et difficiles ont reçu peu de réconfort ou d'aide matérielle.

Le fait est que, dans la mesure où l'anxiété, l'isolement et l'augmentation de la consommation de drogues se sont produits parmi les populations vulnérables, cela avait beaucoup plus à voir avec la protection des intérêts des entreprises en accordant de vastes exemptions aux fermetures pour les grandes entreprises, permettant ainsi à un virus mortel de se répandre et de tuer des dizaines de milliers de personnes, qu'avec toute autre mesure anti-COVID. Les défenseurs de cette position oublient aussi commodément la petite question du débordement des hôpitaux et autres services médicaux par la politique pandémique criminelle de l'élite dirigeante «les profits avant les vies», qui a eu pour effet de restreindre de manière significative la disponibilité des soins médicaux d'urgence.

L'augmentation des décès dus aux opioïdes chez les jeunes

Les auteurs de l'étude d'Unity Health, qui couvre la période allant de janvier 2019 à décembre 2021, notent que si les médicaments prescrits et non réglementés contribuent à la crise depuis un certain temps, la proportion de décès liés aux opioïdes impliquant du fentanyl avait augmenté pour atteindre plus de 80 % du total au début de 2023.

Shaleesa Ledlie, candidate au doctorat à la faculté de pharmacie Leslie Dan de l'université de Toronto et coauteur de l'étude, a déclaré qu'il y avait probablement plusieurs facteurs en jeu dans le fait qu'un pourcentage aussi élevé de décès liés aux opioïdes concernait des personnes plus jeunes. Cela peut inclure le fait que les jeunes sont souvent dans des situations sociales qui impliquent une consommation de drogue plus occasionnelle où les surdoses ne sont pas attendues et où un médicament salvateur comme le naloxone n'est pas disponible.

Une autre possibilité est que les jeunes ne sont pas conscients de la façon dont la composition des opioïdes disponibles illicitement a changé de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie. Le fentanyl et d'autres additifs représentent une part beaucoup plus importante et imprévisible des produits vendus dans la rue, ce qui se traduit par une vaste gamme de puissance et d'effets potentiels.

Selon les données fournies par le gouvernement du Canada par l'intermédiaire de son Infobase Santé, entre janvier 2016 et septembre 2023, il y a eu au total 42.494 décès apparents dus à la toxicité des opioïdes, 41.045 hospitalisations déclarées pour empoisonnement aux opioïdes, dont 65 % étaient accidentelles, et 169.723 visites déclarées aux services d'urgence pour empoisonnement aux opioïdes, dont 77 % étaient accidentelles.

L'Infobase Santé a également montré qu'entre janvier et septembre 2023, 88 % des décès accidentels apparents liés à la toxicité des opioïdes au Canada sont survenus en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. Les hommes représentaient 72 % des décès accidentels par intoxication apparente aux opioïdes, tandis que les personnes âgées de 20 à 59 ans en représentaient 88 %.

Sur l'ensemble des décès accidentels par intoxication apparente aux opioïdes, 82 % concernaient le fentanyl, soit une augmentation de 44 % depuis 2016, date du début de la surveillance nationale. En outre, 82 % d'entre eux impliquaient des opioïdes uniquement non pharmaceutiques et 57 % impliquaient également un stimulant. Au cours de la même période, le fentanyl et ses analogues ont été impliqués dans 44 % des visites aux urgences pour intoxication liée aux opioïdes, une fréquence qui a augmenté de 120 % depuis 2018, date du début de la surveillance nationale.

La crise sociale et l'épidémie de décès dus aux opioïdes

Une autre étude récente du MAP Centre for Urban Health Solutions de l'hôpital St-Michael, publiée dans BMJ Public Health, a adopté une approche basée sur l’origine ethnique pour analyser les données sur les décès induits par les opioïdes. Les chercheurs ont enquêté sur plus de 6600 décès dus à la toxicité des opioïdes en Ontario entre juillet 2017 et juin 2021.

Les chercheurs ont constaté que la grande majorité des décès survenus au cours de cette période concernaient des personnes identifiées comme blanches, mais que les groupes racialisés étaient surreprésentés par rapport à leur pourcentage dans la population provinciale. L'étude du MAP Centre a également souligné l'observation plus large selon laquelle, dans tous les groupes ethniques et raciaux, avec quelques variations entre eux, les décès dus à la toxicité des opioïdes étaient concentrés chez les personnes résidant dans des quartiers à faible revenu et chez les sans-abri. Cette constatation beaucoup plus importante montre que la crise est avant tout une question de classe, et non de couleur de peau.

Une étude publiée dans The Lancet en février 2023 note que ce qui a commencé par une augmentation des décès par surdose d'opioïdes sur ordonnance il y a une quinzaine d'années s'est transformé en une crise incontrôlable impliquant principalement des opioïdes synthétiques illicites et toxiques. Le fentanyl et ses analogues sont désormais associés à des psychostimulants tels que la cocaïne, la méthamphétamine et les benzodiazépines, créant ainsi une crise de la polytoxicomanie.

La benzodiazépine est un dépresseur qui ralentit le système nerveux, mais ce n'est pas un opioïde ; la naloxone est donc inefficace contre elle. La combinaison d'une benzodiazépine avec un opioïde puissant comme le fentanyl réduit les effets des contre-mesures et augmente le risque de décès.

Un contenant de naloxone Narcan, un médicament couramment utilisé pour inverser les surdoses d'opioïdes [AP Photo/Mark Schiefelbein]

Aux États-Unis, une nouvelle classe d'opioïdes synthétiques connus sous le nom de nitazènes, qui contiennent plus de 20 composés uniques et qui pourraient être des centaines à des milliers de fois plus puissants que la morphine, et 10 à 40 fois plus puissants que le fentanyl, est apparue sur le marché illicite des opioïdes. Les bandelettes de test pour le fentanyl ne peuvent pas détecter les analogues du nitazène et des tests de laboratoire spécialisés sont nécessaires pour les identifier dans les échantillons toxicologiques.

Il y a huit ans, le 14 avril 2016, le gouvernement de la Colombie-Britannique a déclaré une urgence de santé publique liée aux décès dus aux opioïdes. Depuis, plus de 14.000 personnes sont décédées, faisant des drogues toxiques la principale cause de décès des habitants de la province âgés de 10 à 59 ans. Selon le BC Coroners Service, elles sont responsables de plus de décès que les homicides, les suicides, les accidents et les maladies naturelles réunis.

La crise a continué à s'aggraver malgré la déclaration d'une urgence de santé publique parce que toute la réponse, comme la réponse à la pandémie de COVID-19 dans tout le pays, a été subordonnée aux impératifs du système de profit capitaliste.

Ce n'est pas une coïncidence si un rapport d'Oxfam International datant de juillet 2023 révèle que les milliardaires canadiens ont vu leur richesse augmenter de 51 % depuis le début de la pandémie en 2020. À l'image du pic soudain de décès dus aux opioïdes entre 2019 et 2021, qui s'est concentré dans la couche la moins riche de la société, le bond de l'accumulation de richesses pour la couche la plus riche était la poursuite accélérée d'une tendance qui dure depuis des décennies.

Selon le rapport, en novembre 2022, les 50 milliardaires canadiens, dont le nombre est désormais estimé à 63, disposaient d'un patrimoine de 249 milliards de dollars. Les 40 % les plus pauvres de la population canadienne, soit 15,6 millions de personnes, disposaient d'un patrimoine légèrement inférieur, soit 248 milliards de dollars.

Pour 2023, Statistique Canada indique que le revenu disponible moyen des ménages aux revenus les plus élevés, les 20 % supérieurs de la distribution des revenus, a augmenté au rythme le plus rapide de tous les groupes de revenus par rapport à l'année précédente. En outre, les 20 % les plus riches détiennent plus des deux tiers de la valeur nette du pays, alors que les 40 % les plus pauvres n'en détiennent que 2,7 %.

L'Enquête sur la population active de mars 2024 indique que le chômage des jeunes a augmenté de 1 point de pourcentage au cours du mois pour atteindre 12,6 pour cent, le taux le plus élevé depuis septembre 2016, à l'exclusion de 2020 et 2021 dans les premiers jours de la pandémie. Le taux d'emploi – la proportion de la population âgée de 15 ans et plus qui est employée – a diminué de 0,1 point de pourcentage pour atteindre 61,4 pour cent en mars, soit la sixième baisse mensuelle consécutive. L'emploi chez les jeunes de 15 à 24 ans a baissé de 1 %, poursuivant une tendance qui n'a pratiquement pas connu de croissance nette de l'emploi chez les jeunes depuis décembre 2022. Le taux d'emploi des jeunes est tombé à 55 %, son niveau le plus bas depuis février 2012, à l'exclusion des années 2020 et 2021.

Alors que la classe dirigeante parasitaire siphonne les richesses du pays, elle détruit sciemment les perspectives, la vie et l'avenir de la classe ouvrière qu'elle exploite. Les services publics à tous les niveaux de gouvernement sont réduits à l'essentiel, tandis que le gouvernement libéral de Trudeau, avec le soutien enthousiaste des syndicats et du Nouveau Parti démocratique, dépense des dizaines de milliards de dollars pour mener une nouvelle guerre mondiale en faveur des intérêts globaux de l'impérialisme canadien. La crise des décès dus aux opioïdes, qui se poursuit et s'accélère, n'est pas seulement une urgence de santé publique, c'est une crise sociale qui exige une solution politique. Il est temps d'aller au-delà des tentatives de traitement des symptômes et d'éradiquer la maladie : le système d'exploitation capitaliste qui produit la misère sociale et le désespoir qui alimentent les décès liés à la drogue.

(Article paru en anglais le 14 mai 2024)

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