Alors que la grève à l’Université de Californie prend de l’ampleur, des signes de crise apparaissent dans l’appareil de l’UAW

Shawn Fain, président de l’UAW, et Rich Boyer, vice-président de l’UAW chez Stellantis, lors de la diffusion en direct du 2 novembre 2023 [Photo: UAW]

Signe de la crise profonde couvant au sein de l’appareil syndical, le président de l’UAW, Shawn Fain, a démis le vice-président Rich Boyer de ses fonctions de chef de département syndical pour Stellantis la semaine dernière, annonçant du même coup qu’il en assumerait lui-même la supervision directement.

Dans une lettre publiée sur Facebook, Shawn Fain reconnait que la colère de la base couve à propos des récentes suppressions d’emplois chez Stellantis suite au licenciement de milliers de travailleurs à temps partiel ou supplémentaires, et que c’est cette colère qui est à l’origine du remaniement de postes au sommet de la bureaucratie de l’UAW.

Avec une franchise inhabituelle, Fain avoue: «Au cours des derniers mois, depuis la conclusion de notre convention collective de 2023, nous entendons nos membres chez Stellantis dire haut et fort que l’entreprise bafoue tant la convention que les membres.»

Fain présente la convention conclue en 2023 comme une victoire «historique», écrivant: «Nous avons mis fin à l’abus permanent des travailleurs temporaires; ils veulent renverser cela par des licenciements de masse. Nous avons obtenu des engagements historiques en matière de production; ils veulent les renier en procédant à des réductions ailleurs. C’est inacceptable et il est du devoir de notre syndicat de riposter, membres et dirigeants tous ensemble.»

Il ment là sans vergogne. Dans les faits, la convention collective des travailleurs de l’automobile de 2023 est une capitulation où les principales revendications des travailleurs ont toutes été abandonnées et avec des augmentations de salaire inférieures à l’inflation. La fausse affirmation selon laquelle la convention mettait fin à l’abus des travailleurs intérimaires – à qui l’on a promis des emplois à temps plein lors de la ratification – a vite été démentie lorsque les travailleurs ont été confrontés à des licenciements massifs après la signature. Les licenciements ont touché l’usine d’assemblage Mack de Detroit, qui a perdu un quart de travail en entier, ainsi que le complexe Jeep de Toledo. Immédiatement après les licenciements, les travailleurs restants de l’usine Jeep se sont fait imposer un horaire brutal et obligatoire de 10 heures par jour et 7 jours par semaine.

Après le licenciement de plus de 2.300 employés supplémentaires, l’entreprise serait en train d’en embaucher de nouveaux afin de remplacer ceux qui viennent d’être licenciés – avec la complicité du syndicat UAW – selon des travailleurs qui ont communiqué avec le Bulletin d’information des travailleurs de l’automobile du WSWS, la WSWS Autoworker Newsletter.

La lettre du président de l’UAW Shawn Fain [Photo: UAW]

Shawn Fain prétend que le problème est que de hauts fonctionnaires n’ont pas réussi à «faire respecter» la convention. Il sait pourtant très bien que la convention qu’il a signée avec Boyer donne à Stellantis le feu vert pour licencier des milliers de travailleurs intérimaires et accentuer son assaut contre les travailleurs à temps plein. Quant à l’affirmation que le «nouvel UAW» ne «laisse pas les travailleurs dans l’ignorance», Fain, Boyer et compagnie ont délibérément caché aux membres le fait qu’ils ont accepté que l’entreprise ne convertisse que 1.957 des 5.219 postes intérimaires – et que les autres travailleurs seraient licenciés.

Autre trahison à son actif, l’UAW a passé sous silence le licenciement par Stellantis de 130 travailleurs à son centre de distribution de pièces détachées de Belvidere, en Illinois. Dans le cadre des négociations pour la convention de 2023, l’UAW prétendait avoir obtenu l’engagement de Stellantis de rouvrir l’usine d’assemblage de Belvidere qui avait été fermée, en plus de construire une nouvelle usine de batteries et un nouveau centre de distribution de pièces détachées.

Fain conclut sa lettre en promettant vaguement de «riposter» dorénavant, se gardant bien de dire quoi que ce soit quant aux mesures que l’UAW prendrait à la suite des attaques qui ont déjà eu lieu. «Au cours des prochains mois, vous pouvez vous attendre à davantage de pressions sur l’entreprise lorsqu’elle viole la convention collective, et à davantage de communication de la part de la direction de l’International UAW sur l’état d’avancement de la résolution des divers problèmes fondamentaux présents chez Stellantis.»

Tout cela n’est qu’une dispute entre voleurs. Il ne fait aucun doute que Stellantis a Boyer dans sa poche. Mais Fain s’en sert comme bouc émissaire pour dissimuler le fait que, dans les faits, la bureaucratie de l’UAW en entier a accepté les termes de la convention favorables à l’entreprise.

Le geste posé par Fain contre Boyer fait suite à l’action similaire menée contre Margaret Mock, la secrétaire-trésorière de l’UAW relevée d’un certain nombre de ses fonctions sur la base de vagues allégations d’irrégularités financières. Or, tant Boyer, un ancien membre du comité des métiers qualifiés de chez Stellantis Warren Truck, que Mock, ont tous deux été élus avec Fain lors des élections frauduleuses de 2022 comme candidats de la liste des «Members United», soutenus par les Democratic Socialists of America et autres groupes de pseudo-gauche.

Lors des élections, l’appareil de l’UAW a procédé à un vaste musèlement des votes, dirigé en premier lieu contre le socialiste Will Lehman, un travailleur de l’automobile de la base à l’usine Mack Trucks de Macungie, en Pennsylvanie. Bien que 90% des membres aient été exclus de l’élection, Lehman a néanmoins obtenu près de 5.000 voix à la suite de son appel pour l’abolition de la bureaucratie et un transfert du pouvoir aux travailleurs de l’atelier.

Ce remaniement de direction à l’UAW survient alors que l’appareil syndical est de plus en plus discrédité. Fain fait face à une rébellion croissante des travailleurs universitaires membres de l’UAW en Californie et qui se mobilisent dans une grève politique en opposition à la répression policière exercée contre les manifestants sur les campus luttant contre le génocide soutenu par les États-Unis à Gaza. L’appareil de l’UAW, qui tente de limiter et d’isoler la grève, malgré le vote massif des 50.000 travailleurs du réseau d’universités de l’UC, est confronté à une rébellion croissante dans ses rangs.

Face aux menaces ouvertes de grèves sauvages, la bureaucratie de l’UAW a été contrainte d’étendre la grève aux campus d’UC Santa Barbara, UC San Diego et UC Irvine. Cette décision fait suite au brutal assaut policier mené vendredi dernier contre le campement des étudiants de l’université de Santa Cruz et à la fermeture du campement des étudiants à l’université Wayne State de Detroit.

Le mois dernier, la tentative de l’UAW de syndiquer les travailleurs de l’automobile du sud des États-Unis a subi un revers majeur lorsque les travailleurs de l’usine Mercedes-Benz de Vance, en Alabama, ont voté contre la syndicalisation avec l’UAW dans une proportion de 56% contre 44%, avec un taux de participation de 90%.

La bureaucratie de l’UAW fait tout ce qu’elle peut pour isoler la grève du réseau universitaire de l’UC en gardant les travailleurs des usines automobiles de Detroit dans l’ignorance de la lutte des travailleurs universitaires. Lorsqu’ils ont été informés de cette grève par le WSWS, les travailleurs ont exprimé leur soutien et leur sympathie pour une grève des travailleurs industriels afin de venir à la défense des étudiants et s’opposer à la guerre.

Un ouvrier des ateliers de Warren Truck a déclaré au WSWS: «Si les flics peuvent commencer à arrêter les jeunes simplement pour avoir manifesté, ce qui est leur droit fondamental, on sait déjà qu’ils vont aussi commencer à le faire contre les travailleurs.»

Un autre travailleur a déclaré: «Nous devrions tous être en grève en ce moment, mais nous ne le sommes pas parce que Fain a menti pour se faire élire. C’est un baratineur et il nous a tous roulés dans la farine. Peu importe qu’il s’agisse de Stellantis ou non, nous sommes tous membres de l’UAW et nous devrions tous être en grève.»

Un partisan du comité de base des travailleurs de Ford Rouge dénonce la fermeture du campement de Wayne State par la police en ces mots. «Tout ce qu’ils demandaient, c’est que l’université cesse de faire affaire avec le gouvernement israélien. Ils protestent contre un génocide. Mais qu’y a-t-il de mal à cela? L’administration Biden, ajoute-t-il, envoie des avions, des chars, de l’argent et tout ce qu’il faut pour soutenir le gouvernement israélien.»

La bureaucratie de l’UAW s’est imposée comme l’un des principaux soutiens du gouvernement Biden, alors que les travailleurs et les jeunes s’opposent de plus en plus à son programme de guerre et d’austérité. Fain tente de se poser en partisan d’un cessez-le-feu à Gaza tout en soutenant pleinement «Genocide Joe» et en réprimant toute manifestation contre le génocide lors des activités parrainées par l’UAW.

En échange du soutien politique de l’UAW, le gouvernement Biden intègre l’appareil de l’UAW dans ses plans de sécurisation du «front intérieur» pour mener ses guerres en expansion contre la Russie et la Chine. Vendredi, Biden a nommé Fain au President’s Export Council, le Conseil présidentiel des exportations, un comité consultatif sur le commerce où il siégera en compagnie d’une série de dirigeants d’entreprise tels que le président-directeur général de Fedex, Raj Subramaniam, et le directeur financier de Ford, John Lawler, afin de promouvoir la guerre commerciale des États-Unis contre leurs rivaux à l’étranger. Cette nomination de Fain fait suite à l’imposition récente par Biden de droits de douane considérables sur les véhicules électriques en provenance de Chine et à ses menaces d’intervention militaire directe en Ukraine contre la Russie.

Fain a maintenant l’habitude de se présenter aux réunions et aux rassemblements de l’UAW avec un tee-shirt arborant un bombardier B-24 de la Deuxième Guerre mondiale accompagné du slogan «Arsenal de la démocratie», en référence au complexe militaro-industriel américain d’alors.

Travailleurs du deuxième quart de Stellantis à l’entrée de l’usine Warren Truck le 21 septembre 2023

Une travailleuse à temps plein à l’usine d’assemblage Mack Avenue Assembly, ayant évité de peu la première vague de licenciements, a déclaré au WSWS que la colère contre l’ensemble de l’appareil syndical de l’UAW à propos des suppressions d’emplois et de l’accélération des cadences continue de bouillir.

«J’ai entendu dire que toute l’usine pourrait passer à un seul quart de travail, a-t-elle déclaré, citant des rumeurs qui circulent et qui n’ont été ni confirmées ni démenties par l’UAW. Ils ont ramené les TPT [temps partiel temporaires et supplémentaires]. Je travaillais côte à côte avec des personnes à temps plein et elles ont été licenciées. Puis, la semaine suivante, je me suis retrouvée à travailler avec des TPT. Je ne m’oppose pas à ce que les TPT travaillent, explique-t-elle, mais il faut souligner que les travailleurs à temps plein gagnent 35 dollars de l’heure, tandis que les travailleurs à temps partiel gagnent au bas mot 10 dollars de l’heure de moins et bénéficient de moins d’avantages sociaux.»

Elle ajoute que l’UAW ne l’a jamais informée, pas plus que les autres travailleurs de chez Mack, à propos de la grève des travailleurs universitaires à l’UC. «Nous avons été stupides de les laisser nous faire croire qu’ils allaient nous laisser gagner 35 dollars et que rien n’allait se passer. Ce n’est pas qu’on n’en a pas besoin. Mais bon, ils ne vont pas se contenter de tout simplement payer le monde 35 dollars. Ils sont en train de réduire les effectifs. Les superviseurs s’en vont et disent que le navire est en train de couler. Ils suppriment des emplois.»

Elle dit que les travailleurs étaient prêts à se battre: «Nous devrions protester lorsqu’ils font cela. Nous devons y mettre un terme au lieu de les laisser faire. J’ai entendu dire que certaines usines ont fait grève, que les travailleurs se sont tenus sur la ligne bleue (en s’éloignant de la chaîne de montage et en arrêtant la production), pour protester contre le licenciement de travailleurs à temps plein et l’embauche de travailleurs à temps partiel, et qu’ils ont réussi à forcer l’employeur à les réembaucher.»

Un ouvrier de chez Ford ajoute: «Tout le monde devrait avoir gardé son emploi. Autrement, nous devrions tous être encore en grève. Ils gaspillent trop d’argent pour la guerre.» Faisant référence aux récents licenciements au complexe de Rouge, il poursuit: «L’UAW ne va pas nous aider. L’employeur nous a demandé si nous accepterions une mise à pied de six mois. Je n’étais pas d’accord. Les représentants syndicaux nous ont menti sur toute la ligne. L’UAW savait très bien que ces licenciements étaient imminents et le syndicat n’a rien fait.»

Qu’il s’agisse de la lutte contre la répression policière ou contre la guerre, ou de la défense des emplois et du niveau de vie, tout dépend de l’initiative des travailleurs de la base. C’est pour cela qu’il faut élargir le Réseau des comités de base des travailleurs de l’automobile, qui travaille sous la direction de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base.

Pour plus d’informations sur la création de comités de base, contactez-nous.

(Article paru en anglais le 4 juin 2024)

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