Canada : Les pressions s’accentuent dans le Parti libéral pour que Justin Trudeau démissionne

La pression monte au sein du Parti libéral et du groupe parlementaire libéral pour que Justin Trudeau démissionne de son poste de Premier ministre après la perte de ce qui était considéré comme l'un des sièges les plus sûrs du parti au profit des conservateurs de l'opposition officielle.

La débâcle des libéraux lors de l'élection partielle du 24 juin à Toronto–St-Paul a confirmé ce que les sondages indiquaient depuis plus d'un an : le soutien au gouvernement libéral minoritaire dirigé par Trudeau s'est réduit comme peau de chagrin. Cela s'explique par le fait que Trudeau dirige un gouvernement de droite qui s'est engagé à faire la guerre dans le monde et à mener une guerre de classe contre la classe ouvrière dans son pays, une stratégie pleinement approuvée par ses alliés des syndicats et du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau s'exprime lors d'une conférence de presse au siège de l'OTAN à Bruxelles, jeudi 24 mars 2022. [AP Photo/Markus Schreiber]

Les libéraux avaient conservé Toronto–St-Paul pendant dix élections fédérales depuis 1993. Cela inclut les élections de 2011, au cours desquelles le parti a obtenu le pire résultat de son histoire au niveau national, en ne remportant que 34 sièges et une part de 19 % du vote populaire.

Pourtant, la semaine dernière, les conservateurs ont réussi à combler un écart de plus de 20 points de pourcentage par rapport à leur deuxième place en 2021 et à s'emparer de l'un des 25 sièges de la région métropolitaine de Toronto pour la première fois depuis 2011.

Trudeau est premier ministre depuis novembre 2015. Au cours des cinq dernières années, il a dirigé un gouvernement minoritaire dont la majorité parlementaire dépendait du NPD, soutenu par les syndicats. Avec la bénédiction et les encouragements des syndicats, le NPD a conclu une alliance gouvernementale formelle avec les libéraux de Trudeau à la fin du mois de mars 2022, un mois après que les États-Unis, le Canada et les autres puissances de l'OTAN ont poussé le président russe Vladimir Poutine à envahir l'Ukraine. Afin d'assurer la «stabilité politique», pour reprendre les termes du chef du parti, Jagmeet Singh, le NPD s'est officiellement engagé à maintenir le gouvernement libéral au pouvoir jusqu'en juin 2025.

Néanmoins, une odeur de fin de régime plane désormais sur Trudeau et son gouvernement.

Ces derniers mois, Trudeau a dû régulièrement repousser les appels à la démission lancés par les médias. Au lendemain de la déroute des libéraux lors de l'élection partielle de Toronto–St-Paul, l'appréhension croissante dans les rangs libéraux face à l'impopularité de Trudeau et du gouvernement ainsi que le soutien évident des grandes entreprises à un gouvernement conservateur dirigé par le populiste d'extrême droite Pierre Poilievre, sont remontés à la surface.

Plusieurs anciens ministres, dont Catherine McKenna, ministre très en vue de l'Environnement et du Changement climatique pendant le premier mandat de Trudeau, et John Manley, vice-premier ministre et ministre des Finances de Jean Chrétien, qui a ensuite dirigé le Conseil canadien des chefs d'entreprise, ont publiquement demandé à Trudeau de démissionner. Un groupe de neuf députés dissidents aurait signé une lettre actuellement diffusée à tous les députés libéraux, demandant une réunion d'urgence en personne du groupe parlementaire du parti pour discuter de la défaite de l'élection partielle de Toronto–St-Paul. Parmi les neuf signataires, seul l'auteur de la lettre, le député de Calgary George Chalal, s'est encore publiquement identifié. Mais un autre député, Wayne Long, du Nouveau-Brunswick, a rendu publique sa propre lettre électronique au caucus, dans laquelle il affirme : «Pour l'avenir de notre parti et pour le bien de notre pays, nous avons besoin d'un nouveau leadership et d'une nouvelle direction». Vendredi, la chroniqueuse nationale du Toronto Star, Althia Raj, a cité un député libéral de l'Ontario dont le nom n'a pas été divulgué et qui a déclaré : «Une majorité, sinon la grande majorité, du caucus souhaite voir le premier ministre quitter ses fonctions.»

Entre-temps, des ministres de premier plan, à commencer par la vice-première ministre et ministre des Finances Chrystia Freeland, se sont sentis obligés de faire des déclarations réitérant leur soutien au maintien de Trudeau au poste de premier ministre et à ce qu’il conduise les libéraux jusqu'aux prochaines élections.

Pourquoi le soutien aux libéraux s'effondre

Deux processus interdépendants expliquent l'effondrement du soutien populaire des libéraux.

Les masses de travailleurs considèrent à juste titre le gouvernement Trudeau comme indifférent et hostile à leurs intérêts. Depuis près d'une décennie, Trudeau se vante de la façon dont son gouvernement «soutient la classe moyenne et les personnes qui travaillent dur pour en faire partie», tout en menant des politiques visant à enrichir l'élite capitaliste et à renforcer la position mondiale de l'impérialisme canadien par l'agression et la guerre, ainsi que par l'intensification de l'exploitation des travailleurs.

Dans le dos de la population, le gouvernement libéral a fait en sorte que le Canada soit l'un des protagonistes d'une campagne impérialiste de repartage du monde – pour s'emparer des ressources, des bassins de main-d'œuvre à exploiter et des territoires stratégiques – qui évolue rapidement vers une troisième guerre mondiale. Ottawa a joué un rôle majeur dans le déclenchement et la poursuite de la guerre de l'OTAN contre la Russie, soutient l'offensive économique et militaro-stratégique unilatérale de Washington contre la Chine, est complice de la guerre génocidaire d'Israël contre les Palestiniens et collabore avec les États-Unis pour assujettir l'Iran et ses alliés du Moyen-Orient.

Tout en privant les soins de santé et d'autres services publics de ressources vitales, le gouvernement a engagé des centaines de milliards de dollars pour se préparer à ce qu'il appelle un «conflit stratégique mondial» en achetant de nouvelles flottes de navires de guerre, des avions de chasse F-35 et d'autres systèmes d'armement avancés.

Attaché à la primauté du profit sur la vie humaine, le gouvernement Trudeau a présidé à la réponse désastreuse de la classe dirigeante canadienne à la pandémie de COVID-19, qui s'est traduite par des vagues successives d'infections et de décès massifs. Alors que le gouvernement, en collaboration avec la Banque du Canada, a fourni plus de 650 milliards de dollars pour soutenir les bilans des entreprises et les marchés financiers, c'est-à-dire la richesse de la classe dirigeante, les travailleurs ont été placés dans une situation de rationnement de l'aide COVID et forcés de retourner travailler dans des lieux de travail dangereux pour recommencer à faire des profits.

Depuis qu'il a déclaré la fin de la pandémie, le gouvernement a décidé de réduire les dépenses sociales et de «lutter contre l'inflation» sur le dos de la classe ouvrière en appliquant des taux d'intérêt élevés et en soutenant les efforts des entreprises canadiennes pour imposer des réductions de salaires réels. Avec l'aide de la bureaucratie syndicale, il a imposé aux travailleurs fédéraux des accords salariaux inférieurs à l'inflation et est intervenu à plusieurs reprises pour criminaliser les grèves des travailleurs, comme dans le cas des dockers de la côte ouest, des cheminots du CN et du CPKC et, plus récemment, des mécaniciens de West Jet.

Des sections puissantes de la classe dirigeante sont néanmoins impatientes de voir Trudeau partir. Par l'intermédiaire des médias, ils ont attisé l'opposition à son gouvernement en faisant état de diverses controverses exagérées ou inventées, la plus importante étant l'affirmation selon laquelle, pour des raisons politiques, il aurait ignoré les avertissements des agences de renseignement concernant l'ingérence supposée de la Chine dans la «démocratie» canadienne.

Ces éléments réclament un gouvernement encore plus agressivement belliqueux et hostile à la classe ouvrière. Ils affirment que les «dépenses folles» du gouvernement Trudeau et son incapacité à égaler ses partenaires de l'OTAN en augmentant immédiatement les dépenses militaires à 2 % du PIB, soit quelque 50 milliards de dollars par an, sapent la «compétitivité mondiale» du capitalisme canadien et mettent en péril son rôle à la table d'honneur impérialiste où le butin est divisé. Ils se plaignent également que l'alliance entre les syndicats, le NPD et les libéraux s'avère être un mécanisme trop coûteux pour étouffer la lutte des classes et craignent qu'elle ne soit pas en mesure de contenir le militantisme croissant des travailleurs.

Cette érosion du soutien de la classe dirigeante est le deuxième facteur de l'effondrement électoral imminent des libéraux.

Il est significatif que les appels à la démission de Trudeau émanant des rangs libéraux soient presque invariablement associés à des demandes visant à ce que le gouvernement s'oriente encore plus à droite et tienne davantage compte de la faction «libérale bleue» du parti, qui est ouvertement pro-patronat.

Trudeau, pour sa part, est en train de comploter dans ce sens. Selon le Toronto Star, il a eu plusieurs discussions avec Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d'Angleterre, pour qu'il rejoigne le gouvernement en tant que ministre des Finances afin de mener une «réinitialisation» majeure du gouvernement. Le gouvernement serait également en train de préparer une nouvelle augmentation massive des dépenses militaires. Celle-ci pourrait être annoncée dès le sommet de l'OTAN de la semaine prochaine, qui doit se concentrer sur les plans des puissances impérialistes visant à intensifier massivement la guerre contre la Russie jusqu'à la «victoire».

Quel que soit le sort personnel de Trudeau, il est clair que la classe dirigeante est en train de reconfigurer la politique officielle en vue d'une intensification de la guerre de classe et d'un rôle encore plus important de l'impérialisme canadien dans la guerre impérialiste mondiale qui se développe. Il s'agit en fait des deux faces d'une même médaille. Le conflit impérialiste des «grandes puissances» ne peut être poursuivi qu'aux dépens des droits sociaux et démocratiques de la classe ouvrière, en réduisant les dépenses sociales et en rendant les grèves illégales afin de financer et d'assurer le bon fonctionnement de la machine de guerre. Cela va de pair avec la répression – comme on l'a déjà vu dans les attaques contre les manifestants anti-génocide – de l'opposition populaire à la guerre.

La répression de la lutte des classes et la montée de l'extrême droite

Au Canada, comme partout dans le monde, l'aggravation de la crise capitaliste alimente une résistance massive de la classe ouvrière. Depuis 2022, une vague de grèves a touché les travailleurs de pratiquement tous les secteurs de l'économie, tant privés que publics. À de nombreuses reprises, les travailleurs ont rejeté avec colère les accords de principe soutenus par les syndicats.

Depuis 2022, on assiste à une vague de luttes militantes de la classe ouvrière que les syndicats ont réduite à néant. Ci-dessus, des enseignants québécois en grève le 23 novembre dernier, au premier jour d'un mois de débrayage.

Cependant, ces luttes ont été systématiquement isolées par les syndicats et réduites à néant. En novembre 2022, lorsque les travailleurs de l'éducation de l'Ontario ont défié une loi anti-grève provinciale, menaçant de précipiter une grève générale contre le gouvernement conservateur de l'Ontario, les syndicats se sont empressés de mettre fin à leur grève et ont ensuite imposé un contrat de trahison. Au milieu des manifestations de masse organisées dans tout le pays, les syndicats n'ont pas levé le petit doigt pour mobiliser la classe ouvrière contre le génocide à Gaza, qui est soutenu de manière indéfectible par le gouvernement Trudeau, lui-même appuyé par les syndicats et leurs alliés du NPD.

C'est la répression de la lutte des classes par les syndicats et les sociaux-démocrates du NPD – aidés et soutenus à chaque fois par les organisations de la pseudo-gauche de la classe moyenne supérieure – qui a ouvert la porte aux conservateurs pour qu'ils fassent un appel social démagogique. À l'instar de leurs alliés républicains américains, les conservateurs canadiens se transforment de plus en plus en un parti d'extrême droite, leur chef de file Poilievre proclamant son enthousiasme pour le Convoi de la liberté d'inspiration fasciste et courtisant les partisans du Parti populaire du Canada de Maxime Bernier.

Alors que les syndicats et le NPD étranglent les grèves et soutiennent un gouvernement pro-guerre qui préside à l'appauvrissement des travailleurs et à l'effondrement des services publics, le chef conservateur Poilievre s'est cyniquement présenté comme le véritable adversaire de la «Justinflation» et le défenseur des «travailleurs ordinaires».

Et il l'a fait avec un certain succès. Les sondages d'opinion indiquent que si les élections avaient lieu aujourd'hui, les conservateurs prendraient le pouvoir, réduisant les libéraux à l'état de croupion, tout en s'emparant des circonscriptions de la classe ouvrière néo-démocrate. L'ampleur de l'effondrement des libéraux dans la circonscription de Toronto–St-Paul a permis d'occulter le résultat désastreux du NPD. Les représentants du NPD ont tenté de minimiser l'affaiblissement du vote du NPD de 17 à 11 % en soulignant le fait que le NPD n'a jamais représenté cette circonscription à la Chambre des communes. Mais cela ne tient pas la route, puisque le NPD occupe le même siège de Toronto–St-Paul à l'Assemblée législative de l'Ontario.

Un processus similaire est observé dans le monde entier. Malgré l'échec manifeste du capitalisme et le discrédit des institutions et mécanismes traditionnels de la domination bourgeoise, la classe ouvrière est politiquement paralysée par les organisations qui se présentent comme «de gauche» et prétendent parler en son nom. C'est ce qui permet aux Poilievre, Trump et Le Pen, soutenus par de puissantes sections de la classe dirigeante et de l'appareil militaro-sécuritaire, de prendre l'initiative politique.

La classe ouvrière, créatrice de toutes les richesses de la société, dispose d'un immense pouvoir social. Mais pour que ce pouvoir soit mobilisé, ses multiples luttes doivent être unies dans une contre-offensive industrielle et politique de la classe ouvrière contre la guerre et l'austérité et pour l'égalité sociale. Cela nécessite la construction de nouvelles organisations de lutte de classe. Des comités de base doivent être organisés sur chaque lieu de travail en opposition aux syndicats nationalistes et corporatistes et armés d'un programme basé sur les besoins des travailleurs et non sur ce que les employeurs et les gouvernements capitalistes disent qu'ils peuvent se permettre.

Ce qui est avant tout nécessaire, c'est la construction d'un parti révolutionnaire de masse de la classe ouvrière qui insufflera une perspective socialiste internationaliste à l'opposition grandissante des travailleurs. Sur la base des leçons tirées des grandes luttes de la classe ouvrière et du mouvement marxiste dans le monde entier au cours de plus d'un siècle et demi, il développera une stratégie minutieusement élaborée pour la mobilisation systémique de la classe ouvrière dans la lutte pour la prise du pouvoir par les travailleurs. Ce parti est le Parti de l'égalité socialiste (Canada) et ses partis frères au sein du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 3 juillet 2024)

Loading