Les dirigeants chinois se réunissent dans un contexte de difficultés économiques croissantes

Le régime de Xi Jinping est confronté à d’importants problèmes alors que le troisième plénum du comité central du Parti communiste chinois se réunit cette semaine pour discuter de l’orientation de l’économie.

La réunion, qui a débuté lundi et se termine jeudi, n’a pas démarré sous les meilleurs auspices, avec la publication de données montrant que la croissance a ralenti au deuxième trimestre par rapport aux trois premiers mois de l’année.

Le président chinois Xi Jinping s’apprête à voter lors d'une session de l'Assemblée populaire nationale (APN) à Pékin, le 12 mars 2023. [AP Photo/Andy Wong]

Le PIB de la Chine a augmenté de 5,3 pour cent au cours du premier trimestre et les économistes avaient prédit qu’il augmenterait de 5,1 pour cent au cours du deuxième trimestre, mais le chiffre s’est élevé à 4,7 pour cent.

Une analyse des données met en évidence certains des principaux problèmes auxquels sont confrontés les dirigeants politiques chinois. La production industrielle a augmenté de 5,3 pour cent en juin, dépassant les attentes et reflétant la politique officielle qui vise à promouvoir le développement de «nouvelles forces productives», mais les ventes au détail n’ont augmenté que de 2 pour cent au cours du mois, bien en deçà des prévisions.

Signe de pressions déflationnistes, les prix à la consommation n’ont augmenté que de 0,2 pour cent au cours de l’année qui s’est achevée en juin. Dans le secteur du logement et de l’immobilier, un pilier de la croissance économique chinoise, la pression à la baisse était clairement évidente.

Les prix des logements neufs ont chuté de 4,5 pour cent au cours de l’année qui s’est achevée en juin, ce qui, d’après les calculs de Reuters, représente la plus forte baisse en neuf ans. Les nouvelles mises en chantier ont diminué de 23,7 pour cent au cours du premier semestre de l’année, tandis que les investissements immobiliers ont chuté de 10,1 pour cent au cours de la même période.

Les dernières données révèlent des problèmes structurels profonds dans l’économie, auxquels le gouvernement est maintenant confronté alors qu’il tente de changer le cours de sa politique sous d’intenses pressions financières, économiques et sociales, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, qui a eu un impact majeur sur l’économie chinoise, entraînant la perte d’environ 23 millions d’emplois, un programme massif de logement et d’infrastructure a été entrepris, de sorte que l’immobilier et la promotion immobilière, ainsi que les industries connexes, représentaient jusqu’à 25 à 30 pour cent de l’économie chinoise.

Alors que le gouvernement central a pris des mesures de relance, cette expansion a été financée principalement par les autorités locales qui ont emprunté d’importantes sommes d’argent par l’intermédiaire des «véhicules de financement des gouvernements locaux» (LGFV).

La dette utilisée pour financer les grands projets d’infrastructure a été financée par la vente de terrains destinés à la promotion immobilière et au logement.

L’effondrement brutal du marché immobilier, qui a commencé il y a trois ans et qui a entraîné la faillite d’une multitude d’entreprises – la plus connue étant celle du géant de l’immobilier Evergrande – a fait perdre aux collectivités locales et à leurs LGFV une importante source de revenus.

Un article récent du Wall Street Journal a mis en évidence l’ampleur du financement des LGFV. Selon cet article, les économistes ont estimé le montant de leurs dettes entre 7.000 et 11.000 milliards de dollars, soit environ le double de la dette du gouvernement central.

«Le montant total n’est pas connu – probablement même pas à Pékin, disent les banquiers et les économistes – en raison de l’opacité qui entoure les arrangements financiers qui ont permis à la dette de gonfler», précise l’article.

On estime qu’environ 800 milliards de dollars de la dette du LGFV sont classés comme présentant un risque élevé de défaillance.

L’article du Journal cite l’analyse du Rhodium Group, un cabinet de recherche, qui a constaté que seul un cinquième des quelque 2.900 LGFV qu’il a examinées l’année dernière disposait de suffisamment de liquidités pour couvrir leurs obligations de dette à court terme et les paiements d’intérêts.

La prescription offerte par les économistes, au niveau international et certains en Chine, est que le gouvernement devrait entreprendre un plan de relance pour stimuler les dépenses de consommation afin de maintenir la croissance économique.

Comme l’a fait remarquer Eswar Prasad, professeur d’économie à l’université Cornell et analyste de longue date de l’économie chinoise, dans un récent commentaire publié dans le Financial Times: «Le gouvernement résiste à la demande de relance monétaire et fiscale, de peur de créer des risques financiers et d’alourdir le fardeau de la dette.»

Certaines mesures ont été prises par le gouvernement et les banques centrales, mais «il est plus difficile d’amener les ménages [principalement chez les classes moyennes] à consommer davantage, alors que leur confiance est au plus bas et qu’ils voient la valeur de leurs maisons et de leurs investissements boursiers chuter», écrit-il.

L’axe principal de la politique gouvernementale est le développement de ce que Xi a appelé des «forces productives de haute qualité». L’accent est mis sur la fabrication de produits de haute technologie, dont une composante majeure est constituée par les produits dits de technologie verte, tels que les véhicules électriques, les panneaux solaires et les batteries, ainsi que les équipements médicaux.

La Chine est déjà un leader mondial dans nombre de ces domaines, à la fois en termes d’efficacité technique, capable de puiser dans un vaste vivier de diplômés d’institutions scientifiques, et en termes de coûts grâce à des innovations dans les méthodes de production.

Ici, la perspective du régime Xi s’est heurtée à un obstacle majeur: la détermination des États-Unis à écraser le développement économique chinois, qu’ils considèrent comme la plus grande menace pour la poursuite de leur hégémonie économique.

D’abord sous le gouvernement Trump et ayant intensifié cette politique sous le gouvernement Biden, les États-Unis ont imposé une série de sanctions et de limitations sur l’exportation de composants de haute technologie, ainsi que des droits de douane sur ses exportations de véhicules électriques et d’autres produits de technologie verte auxquels l’Union européenne s’est jointe.

On avance que les prétendues subventions d’État sont la raison de la domination chinoise dans ces domaines et que ses exportations doivent donc être restreintes au motif qu’elles constituent une «concurrence déloyale» sur les marchés mondiaux. Ces affirmations sont empreintes d’hypocrisie étant donné les subventions massives accordées aux entreprises par le gouvernement Biden dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation et de la loi «CHIPS».

Pour le régime Xi, le développement d’un nouveau paradigme économique est une question existentielle. Il s’appuie sur une classe ouvrière importante, estimée à 400 millions de personnes, et sur une population urbaine en forte croissance.

Le régime a abandonné depuis longtemps tout engagement envers le socialisme. Maintenant, son seul fondement de sa légitimité politique auprès de la grande masse de la population est de continuer à assurer la croissance économique et l’augmentation du niveau de vie.

Le passage à un nouveau modèle économique et son impact sur les industries plus anciennes, en particulier la construction, ainsi que le refus du gouvernement d’augmenter les dépenses pour les mesures de protection sociale, que Xi a critiqué dans le passé comme un piège menant à la «paresse», génèrent d’importantes tensions sociales.

Certaines de ces tensions ont été rapportées dans un article important du Financial Times de cette semaine, intitulé «Xi peut-il garder le contrôle sur les tensions sociales?»

Il y est noté que dans tout le pays, «de nombreux indicateurs de stress social clignotent au rouge alors que la faiblesse de certaines parties de l’économie fait des ravages. Les données officielles et officieuses montrent une augmentation de tous les facteurs, depuis les tensions sur le marché du travail et les saisies de logements jusqu’aux manifestations syndicales, aux suicides, à la criminalité et à la violence aléatoire».

Depuis le massacre de la place Tiananmen en juin 1989, note l’article, le régime de Xi a réprimé les troubles sociaux tandis que la croissance économique donnait au régime une prétendue «légitimité de performance».

Cette légitimité est aujourd’hui remise en question. Le ralentissement du secteur de l’immobilier et de la construction a déjà eu un impact: environ 10 millions de travailleurs ont quitté le secteur de la construction en 2022 et 2023.

L’article fait état d’une conférence organisée en Chine l’année dernière et réunissant des délégués de municipalités et de provinces qui ont appris que les perceptions sur l’inégalité «entre les riches et les pauvres, les cadres et les masses, sont devenues des croyances généralisées».

Le China Labour Bulletin de Hong Kong, qui fournit une couverture limitée des troubles du travail, a rapporté qu’il y avait eu près de 1.800 «incidents» en Chine l’année dernière, soit plus du double de 2022 et dépassant les niveaux d’avant la pandémie, l’industrie de la construction étant la principale source, suivie par l’industrie manufacturière.

L’article cite les résultats d’une enquête sur les attitudes sociales qui montre que l’optimisme a cédé la place au pessimisme.

Les résultats des enquêtes de 2004, 2009 et 2014 ont montré que la plupart des gens ordinaires n’étaient pas «trop préoccupés» par les écarts de revenus, que la plupart étaient optimistes quant aux perspectives de leur famille et que beaucoup pensaient que la mobilité ascendante dépendait du mérite.

L’enquête de 2023 a montré un changement marqué, les répondants considérant «les caractéristiques de l’ordre social non fondées sur le mérite, tel que l’inégalité des chances, la discrimination et le fait de s’appuyer sur des relations privilégiées, comme des déterminants relativement plus importants de la pauvreté ou de la richesse».

Les auteurs du rapport ont déclaré que les résultats ne suggéraient pas que la colère populaire face aux inégalités était «susceptible d’exploser dans un volcan social d’activités de protestation».

«Ils suggèrent toutefois que la légitimité des performances accumulée par les dirigeants au cours de décennies de croissance économique soutenue et d’amélioration du niveau de vie semble commencer à être ébranlée.»

Minxin Pei, professeur de gouvernance dans une université californienne et auteur d’un livre sur les méthodes de surveillance et de contrôle social de Xi, a déclaré au FT que ces mesures avaient fonctionné jusqu’à présent dans un environnement relativement tranquille, mais que cela pourrait changer et qu’il y aurait «beaucoup plus d’incidents d’instabilité ou d’agitation».

Il a ajouté qu’en cas de période prolongée de faible croissance économique, le PCC entrerait dans des eaux inconnues, avec peu de précédents depuis que Deng Xiaoping a ouvert la Chine au marché à la fin des années 1970.

Il n’a pas donné de détails, mais ses remarques rappellent la crise de 1989, qui a conduit au massacre de la place Tiananmen. La cible du régime allait bien au-delà des étudiants contestataires. La répression était surtout dirigée contre la classe ouvrière des centres industriels et a été un facteur central dans la restauration complète du capitalisme en Chine et son intégration dans le marché capitaliste mondial.

Le virage de Deng vers le marché capitaliste amorcé en 1978 a eu d’énormes conséquences sociales. Aujourd’hui, le régime de Xi cherche à entreprendre un nouveau virage, dont les résultats ont le potentiel d’être encore plus explosifs en raison de la croissance massive de la classe ouvrière chinoise au cours des trois dernières décennies.

(Article paru en anglais le 17 juillet 2024)

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