Les réactions allemandes à la tentative d'assassinat de Trump: nervosité, fascination pour le fascisme et appels au réarmement

«La réaction politique sur toute la ligne est un trait caractéristique de l’impérialisme», écrivait Lénine au beau milieu du massacre de masse de la Première Guerre mondiale. La réaction des politiciens et des médias en Allemagne à la tentative d’assassinat contre l’ex-président américain et actuel candidat républicain Donald Trump est entièrement déterminée par ce «trait caractéristique».

L'ancien président Donald Trump est escorté vers un cortège de véhicules à la suite d'une tentative d'assassinat lors d'un événement de campagne à Butler, en Pennsylvanie, le samedi 13 juillet 2024. [AP Photo/Gene J. Puskar]

D’un côté règnent la peur et la nervosité face à la dérive de la principale puissance impérialiste vers la violence et la guerre civile, et aux conséquences qui en découlent pour la stabilité du capitalisme allemand et européen. «L’Amérique tombe dans la violence», titrait un premier article de la Süddeutsche Zeitung (SZ) ; «Dans une Amérique prête à la violence», titrait la Frankfurter Allgemeine Zeitung ; «Les États-Unis ressemblent à une poudrière – et la tentative d’assassinat contre l’ex-président a encore accru le risque d’explosion», avertit le SZ dans un autre article.

Outre le fait de se rendre à l’évidence que Trump lui-même a «contribué de manière significative» (SZ) à cette évolution, il existe une véritable fascination pour le fasciste qui, avec le soutien actif des démocrates, se présente comme l’unique sauveur de la nation. Jan Philipp Burgard, rédacteur en chef de la chaîne d’information WELT, a par exemple dans un commentaire rendu hommage à Trump, qu’il qualifie de «plus grand politicien instinctif de notre époque». Il écrit:

Quand on lui tire dessus et que la balle rate de peu son cerveau, son instinct politique l’emporte sur son instinct de survie. Alors que la plupart des politiciens seraient restés à couvert et auraient rampé hors de la scène sous la protection des gardes du corps, Trump s’est arraché aux agents des services secrets. Apparemment peu impressionné par la menace existentielle qui pèse sur lui, il cherche et trouve les caméras. «Luttez, luttez, luttez!», lance-t-il à ses partisans.

Par cette réaction, Trump a «prouvé son génie en matière de mise en scène». Il a «instinctivement ajouté l’image du héros américain d’action» à son «image d’homme d’affaires à succès, d’animateur de télévision et de président non conventionnel». La Convention nationale républicaine (RNC) devient ainsi «la messe de couronnement d’un candidat plus efficace que jamais après la tentative d’assassinat. De nombreux Américains rongés par la peur du déclin aspirent précisément à cette force».

Dans une interview accordée à Deutschlandfunk, l’ex-ministre allemand de la Santé et membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) Jens Spahn, qui participe cette semaine à la RNC à Milwaukee (Wisconsin), a également laissé libre cours à son admiration subliminale pour Trump et les activités fascistes des républicains. «La foule l’a acclamé», a déclaré Spahn. «La foule veut le voir se battre, on le sent aussi. Il y avait une ambiance militante, tournée vers la campagne. Lui-même était plutôt très calme, comme je l’ai rarement vu. Je suis très curieux de voir ce qu’il dira cette semaine dans son discours, s’il trouvera désormais aussi des tons unificateurs et rassemblera le pays.»

Cette fascination à peine dissimulée pour le Führer américain, qui a mobilisé une horde fasciste le 6 janvier 2021 pour tenter de se maintenir au pouvoir et s’est ouvertement vanté de pouvoir gouverner en dictateur, a une raison surtout: la classe dirigeante allemande réagit elle aussi à l’opposition croissante aux énormes inégalités sociales, au militarisme et à la guerre en se tournant vers l’autoritarisme et le fascisme.

Contrairement aux années 1930, la classe dirigeante n’a pas de mouvement de masse fasciste, mais elle construit systématiquement un parti d’extrême droite avec l’Alternative pour l’Allemagne et met en pratique son programme. Elle n’a pas de différences fondamentales avec la politique fasciste de Trump, si ce n’est qu’il représente en fin de compte l’impérialisme américain.

En coulisses, des préparatifs intensifs sont en cours depuis longtemps pour une éventuelle coopération avec Trump dans l’éventualité d’une nouvelle présidence. «Il est déjà important de chercher un terrain d’entente sur certains points», a expliqué Spahn. «Il n’y en a pas en matière de style, mais il y en a certainement sur les questions comme l’OTAN, les migrations, la non-prolifération des armes nucléaires.» Trump sera «très probablement le prochain président», et l’Allemagne et l’Europe «doivent être mieux préparées cette fois-ci.»

Au cœur de cette «préparation» il y a les craintes quant à la poursuite et à l’extension de la guerre de l’OTAN en Ukraine. Il y a bien de plus en plus d’indices que Trump ne mettra pas simplement fin à l’offensive militaire contre la Russie menée par l’impérialisme américain. Il y a quelques jours à peine, le ministre de la Défense Boris Pistorius (social-démocrate) a déclaré qu’il «ne pouvait pas imaginer» qu’un «autre président renonce» au déploiement en Allemagne des armes de précision à longue portée américaines dirigées contre la Russie, comme cela a été convenu.

Ce qui domine cependant, ce sont les appels à un leadership allemand et européen plus agressif pour défendre les propres intérêts géostratégiques et économiques, notamment vis-à-vis de Washington. Les demandes vont d’une plus grande souveraineté en politique étrangère au développement d’armes nucléaires européennes ou allemandes.

Quel que soit le prochain président américain, «nous devons nous préparer au fait que les exigences envers l’Allemagne et l’UE en matière de responsabilité indépendante vont augmenter», a averti le coordinateur transatlantique allemand Michael Link (Parti libéral-démocrate) dans un commentaire au RND. Link participe également à la convention républicaine avec d’autres représentants des partis au pouvoir.

«Pendant des décennies, nous avons compté sur les États-Unis pour assurer notre sécurité», a poursuivi Link. «Cette externalisation est désormais terminée, et c’est une bonne chose, car, sans nous séparer des États-Unis ou même de l’OTAN, nous devons apprendre que le pilier européen de l’alliance transatlantique peut de plus en plus voler de ses propres ailes.»

Les discussions actuelles sur la réintroduction du service militaire obligatoire ainsi que sur le nouveau budget de guerre montrent à quel point ce réarmement et ces plans de guerre sont vastes. L’objectif déclaré du gouvernement allemand est de rendre l’Allemagne de nouveau «prête à la guerre», malgré le rôle dévastateur de l’impérialisme allemand dans les deux guerres mondiales, et de se préparer à une «guerre terrestre» européenne de grande ampleur contre la Russie.

La demande de l’Allemagne d’avoir ses propres armes nucléaires est également ravivée. Les États-Unis ont «récemment annoncé qu’ils souhaitaient à nouveau stationner en Allemagne, après des décennies, des armes à longue portée», qui «pourraient également être équipées d’ogives nucléaires», dit un article du Deutschlandfunk du 16 juillet. Mais il était en même temps clair que les Européens «ne pouvaient plus nécessairement compter sur la défense nucléaire des États-Unis».

L’article se concentre sur deux variantes possibles: «des armes nucléaires appartenant à l’UE» et «une européanisation du parapluie nucléaire français». Cependant, comme ces deux options sont considérées comme politiquement, techniquement et financièrement difficiles à mettre en œuvre, l’article évoque également «une troisième considération»: «que l’Allemagne acquière elle-même des armes nucléaires».

Cela constituerait bien «une rupture totale avec la tradition de la politique étrangère allemande», a déclaré selon Deutschlandfunk Markus Kaim, expert en sécurité et depuis mai chef du service «Géoéconomie et politique de sécurité» du ministère des Finances. «Mais nous vivons, a-t-il déclaré, dans une nouvelle ère et nous sommes sur le point de devoir jeter par-dessus bord certaines hypothèses de la politique étrangère et de sécurité allemande des trente dernières années».

Kaim et la classe dirigeante savent que la construction d’une bombe nucléaire allemande signifierait également une rupture totale avec le droit international. L’article affirmait: «Le problème central de la variante allemande: il n’est actuellement pas juridiquement possible pour l’Allemagne de se doter d’armes nucléaires. Selon Kaim, l’Allemagne devrait se retirer du Traité de non-prolifération et, à terme, mettre fin au Traité sur l’unité allemande, le traité dit ‘deux plus quatre’. Car celui-ci réaffirme la renonciation de l’Allemagne aux armes nucléaires.»

Le fait qu’un haut responsable du gouvernement continue d’envisager publiquement la possibilité de bombes atomiques allemandes et que l’appel à la bombe soit régulièrement évoqué dans les médias souligne la mentalité fasciste qui se répand à nouveau parmi la classe dirigeante, 85 ans après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Pour faire valoir ses intérêts impérialistes, elle est prête à «jeter par-dessus bord» toutes les restrictions de l’après-guerre et à commettre une fois de plus les pires crimes. Elle n’a, en cela non plus, rien à envier au fasciste Trump.

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