La menace de Donald Trump de faire passer en force sa liste de ministres d'extrême droite en tant que « nominations d'urgence » sans vote de confirmation au Sénat marque une étape importante dans l'effondrement de jure des formes constitutionnelles de gouvernement.
Le plan de Trump consiste, pour ses alliés du Congrès, à « auto-proroger » le corps législatif afin d'échapper à la clause d’avis et d’assentiment de la Constitution. Ce plan intervient alors que Trump se vante de vouloir gouverner par décret d'urgence et de déployer des troupes fédérales pour expulser les travailleurs immigrés.
En avril 2020, Trump a menacé de proroger le pouvoir législatif et « d'exercer mon autorité constitutionnelle pour ajourner les deux chambres du Congrès » par le biais d'un décret exécutif.
Le 10 novembre, à l'approche du vote de la Conférence républicaine du Sénat pour le poste de chef de la majorité, Trump a publié une déclaration sur les médias sociaux dans laquelle il a affirmé que « tout sénateur républicain cherchant à obtenir le poste convoité de LEADERSHIP au Sénat des États-Unis doit accepter les nominations d’urgence (au Sénat !), sans quoi nous ne serons pas en mesure de faire confirmer les personnes en temps voulu [...] Nous avons besoin que les postes soient pourvus IMMÉDIATEMENT ! »
Trump et le principe du Führer
La conférence républicaine a élu John Thune, du Dakota du Sud, qui a déclaré peu après qu'il était ouvert à la proposition de Trump de procéder à des nominations d'urgence de personnalités d'extrême droite telles que Matt Gaetz (ministre de la Justice), Pete Hegseth (ministre de la Défense), Robert F. Kennedy Jr. (ministre de la Santé et des Services sociaux) et Kristi Noem (ministre de la Sécurité intérieure).
« Je pense que nous devons mettre toutes les options sur la table », a déclaré Thune. « Le Sénat jouera son rôle constitutionnel d’avis et d’assentiment. Mais nous n'allons pas permettre aux démocrates de contrecarrer la volonté du peuple américain en donnant au président Trump les personnes qu'il veut à ces postes pour mettre en œuvre son programme. »
D'autres républicains de premier plan se sont empressés de soutenir l'appel de Trump à procéder à des nominations d'urgence. Le sénateur de l'Alabama Tommy Tuberville a déclaré aux médias la semaine dernière, à propos du rôle du Sénat dans la confirmation des nominations ministérielles : « Ce n'est pas à nous de le déterminer », bien que ce soit certainement le cas.
L'affirmation de Thune selon laquelle la « volonté du peuple » signifie « donner au président Trump » ce qu'il veut est une dangereuse reprise du « principe du Führer », la doctrine pseudo-juridique qui élève le dirigeant national au-dessus de l'État de droit. En réalité, l'avertissement de Thune selon lequel « toutes les options sont sur la table » – une phrase tirée de la stratégie de guerre impérialiste – est une menace effrontée pour le pouvoir législatif : soit vous confirmez les nominations de Trump, soit Trump violera la Constitution et exclura le pouvoir législatif des nominations.
Ce plan indique clairement que l'administration entrante utilisera des méthodes explicitement extraconstitutionnelles, essentiellement dans la continuité de la tentative de coup d'État du 6 janvier 2021. S'il est possible que les menaces de Trump et de ses alliés républicains au Sénat de contourner la Constitution parviennent à forcer le Congrès à soutenir le cabinet réactionnaire de Trump, la simple menace de réaliser ses objectifs « de la manière facile (légale) ou de la manière difficile (illégale) » signifie en soi que la Constitution est en train de devenir lettre morte.
Trump, avec la Cour suprême dans sa poche, traite les documents fondateurs du pays comme les contrats de construction qu'il a passé sa carrière à ignorer.
Les origines révolutionnaires de la clause de nomination
Guidés par l'expérience de leurs luttes contre la couronne britannique et inspirés par les théories des Lumières sur la gouvernance (en particulier De l'esprit des lois de Montesquieu, publié en 1748), les révolutionnaires américains ont séparé les fonctions des différentes branches du gouvernement.
Les trois premiers articles de la Constitution américaine définissent les pouvoirs des trois branches : le rôle du pouvoir législatif, énuméré à l'article I, est de faire la loi. Le rôle de l'exécutif, énuméré à l'article II, est d'appliquer la loi. Le rôle du pouvoir judiciaire, séparé du pouvoir exécutif à l'article III pour la première fois dans l'histoire, est d'interpréter la loi.
La « séparation des pouvoirs » est le principe selon lequel les pouvoirs des différentes branches du gouvernement « doivent être divisés et gardés de manière à empêcher que les pouvoirs conférés à l'une ne soient absorbés par l'autre », selon les termes de Thomas Jefferson.
Au cours de la Révolution et de ses suites immédiates, les révolutionnaires se sont particulièrement attaqués au pouvoir de l'exécutif. L'historien Gordon Wood a écrit dans The Creation of the American Republic, 1776-1787 que « lorsque les Américains de 1776 parlaient de maintenir les différentes parties du gouvernement séparées et distinctes, ils pensaient avant tout à protéger le pouvoir judiciaire et en particulier le pouvoir législatif de la manipulation de l'exécutif ».
Le climat démocratique contre la monarchie était si puissant que les constitutions des États créées pendant la guerre pour supplanter les gouvernements coloniaux britanniques ont considérablement limité les pouvoirs de l'exécutif, traitant les nouveaux gouverneurs davantage comme des administrateurs que comme des dirigeants. La constitution de l'État de Pennsylvanie a supprimé le poste de gouverneur et l'a remplacé par un conseil exécutif.
La limitation du pouvoir de l'exécutif de procéder unilatéralement à des nominations était considérée comme un élément essentiel de la séparation des pouvoirs. Les révolutionnaires américains ont souligné à maintes reprises la manière dont la Couronne était en mesure de maintenir ses prérogatives par le biais du favoritisme et du contrôle personnel sur les différents départements du gouvernement.
Thomas Paine a écrit dans Le Sens commun, en parlant de la couronne britannique, « un autre fait qui saute aux yeux, c’est que tout son ascendant lui vient de la distribution des pensions et des places. Ainsi, quoique nous ayons eu la prudence de fermer une porte à la monarchie absolue, nous avons eu en même-temps la simplicité d’en donner la clef au pouvoir exécutif ». La Déclaration d'indépendance énumère comme grief contre le roi George III : « Il a rendu nos juges dépendants de sa seule volonté, pour la durée de leurs offices et pour le taux et le payement de leurs appointements. »
La convention qui s'est réunie en 1787 pour rédiger la Constitution était divisée sur de nombreux aspects des pouvoirs exacts de l'exécutif. Dix années s'étaient écoulées depuis la Déclaration d'indépendance et les auteurs, craignant de plus en plus les mouvements populaires de la base, avaient développé une vision un peu plus large des pouvoirs de l'exécutif par rapport aux constitutions des États en temps de guerre.
Malgré cela, la Constitution prévoyait la destitution, conférait au Congrès des rôles importants dans l'approbation ou la déclaration des décisions de politique étrangère et refusait d'accorder à l'exécutif le pouvoir de nommer unilatéralement des fonctionnaires ou des juges. Plus tard, la Constitution a également été amendée pour limiter le nombre de mandats présidentiels.
La Constitution a donné au corps législatif, par l'intermédiaire du Sénat, le pouvoir de donner son avis et son consentement sur les nominations. La section 2 de l'article II stipule que le président « par et avec l'avis et l’assentiment du Sénat, nommera les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges de la Cour suprême et tous les autres fonctionnaires des États-Unis [...] »
À l'époque où la Constitution a été rédigée, en 1787, le Congrès siégeait pendant une période relativement courte et les déplacements à cheval vers la capitale étaient pénibles et coûteux, en particulier pour les représentants de régions éloignées. C'est pourquoi la Constitution a également ajouté une clause relative aux « nominations d’urgence », qui stipule que « le président aura le pouvoir de combler toutes les vacances qui pourraient se produire que le Sénat n’est pas en fonction, en accordant des commissions qui expireront à la fin de leur prochaine session » (c'est-à-dire dans deux ans).
Donald Trump et ses alliés républicains affirment que cette clause sur les « nominations d’urgence » lui donne le pouvoir d'imposer sa « volonté » sans passer par le Sénat. Leur plan consiste à adopter des résolutions à la Chambre et au Sénat afin d'ajourner la session suffisamment longtemps pour permettre à Trump d'imposer ses nominations pendant les vacances parlementaires. Cela signifie essentiellement la prorogation de la législature par des législateurs personnellement loyaux à l'exécutif lui-même. De tels pouvoirs, aussi « temporaires » soient-ils, sont réservés aux rois et aux dictateurs. Si ce plan est mis en œuvre, toute contestation juridique aboutira devant la Cour suprême.
La Constitution assiégée
Si le président peut violer une disposition de la Constitution, pourquoi ne pas les violer toutes ? Si le président peut nommer les membres de son cabinet sans vote du Sénat, pourquoi ne pas nommer les juges de la Cour suprême de la même manière ? Pourquoi permettre au Sénat de voter sur la ratification des traités ? Pourquoi donner au Congrès le pouvoir de déclarer la guerre ? En fait, pourquoi ne pas confier le pouvoir législatif au président lui-même en supprimant le pouvoir du corps législatif de passer outre un veto présidentiel à la majorité des deux tiers ?
La réaction du Parti démocrate au système de nominations d'urgence de Trump a été remarquablement discrète. Le sénateur du New Jersey Cory Booker l'a qualifié de « frustrant », comme si le fait de mettre le feu à la Constitution n'était qu'un simple inconvénient. Pour endormir la conscience populaire, Booker a minimisé la possibilité que le plan de Trump aboutisse : « Je pense que les gens des deux côtés de l'allée l'exprimeraient, et d'après ce que j'entends des sénateurs des deux côtés de l'allée, les gens ne laisseront pas cela se produire. »
En faisant effectivement confiance au Parti républicain, le Parti démocrate a une nouvelle fois prouvé son opposition à alerter la population du grand danger que représentent les menaces de Trump contre la démocratie.
Après tout, c'est sous les deux mandats de Barack Obama que le pouvoir exécutif s'est arrogé d'immenses pouvoirs. George Bush a repoussé les limites des nominations d’urgence en 2005 en nommant John Bolton ambassadeur à l'ONU, mais Barack Obama a franchi de nombreux seuils en étendant le pouvoir exécutif sous couvert de « pouvoirs de guerre ». C'est son administration démocrate qui a ordonné l'assassinat du citoyen américain Anwar al-Awlaki, étendu la surveillance de la NSA à l'ensemble de la population, refusé d'enquêter sur les tortures pratiquées par la CIA sous l'ère Bush et mené des guerres à l'étranger sans l'autorisation du Congrès. En effet, la dernière déclaration de guerre officielle remonte à 1942.
La classe dirigeante américaine considère désormais les principes démocratiques qu'elle a autrefois combattus comme des obstacles à l'accumulation de richesses. Les fondements juridiques et constitutionnels du pays s'effondrent sous le poids de l'oligarchie américaine. La classe ouvrière est la seule force sociale capable de défendre la démocratie, et elle ne peut le faire qu'en attaquant de front le système capitaliste.
(Article paru en anglais le 19 novembre 2024)