Le parti au pouvoir FRELIMO (Frente de Libertaçao de Moçambique) a interdit les manifestations après trois semaines d’un mouvement de protestation à l'échelle nationale, devenu le plus grand mouvement contre lui en un demi-siècle, depuis qu’il gouverne le pays suite à son indépendance du Portugal, il y a un demi-siècle.
Les manifestations ont été confrontés à une réponse policière violente qui a fait une cinquantaine de morts, des centaines de blessés et des milliers de personnes détenues illégalement. Cette réponse inclut les assassinats ciblés de deux dirigeants du parti d'opposition PODEMOS, qui vient d'être créé. Cette vague d’agitation politique suit une élection présidentielle controversée, tenue le mois dernier où le FRELIMO a revendiqué la victoire au milieu d'allégations généralisées d'irrégularités et de fraude électorale.
Le ministre de l'Intérieur, Pascoal Ronda, qui a supervisé cette répression brutale, a interdit les manifestations et fermé les médias sociaux, les dénonçant comme des «actes de terrorisme». L'Afrique du Sud voisine, dirigée par le Congrès national africain (ANC) depuis trois décennies, est terrifiée d’une éventuelle explosion des manifestations au-delà de ses frontières. Elle a fermé sa principale frontière terrestre avec le Mozambique lorsque des manifestants ont tenté de passer en Afrique du Sud, la police sud-africaine tirant des balles en caoutchouc pour les arrêter.
Les manifestations ont éclaté après l’annonce des résultats de l'élection du 24 octobre déclarant vainqueur le candidat du FRELIMO Daniel Chapo. Le principal candidat de l'opposition, Venâncio Mondlane de PODEMOS, avait dénoncé les résultats comme frauduleux et appelé à manifester.
Selon le décompte officiel, Chapo a remporté une victoire écrasante avec un peu plus de 70 % des voix, Mondlane obtenant 20 % des suffrages, tandis que 57 % des électeurs se sont abstenus. Les observateurs électoraux, dont l'Union européenne et l'Institut républicain international, lié au Parti républicain américain, ont dénoncé de nombreuses irrégularités: retards dans le versement des fonds électoraux aux partis d'opposition, obstruction des observateurs du scrutin et nombre anormalement élevé d'électeurs inscrits dans les zones censées voter pour le FRELIMO. Le parti PODEMOS a affirmé avoir remporté la présidence et le pouvoir législatif.
Il existe une immense colère sociale au Mozambique, alimentée par la persistance de la pauvreté, des inégalités, des violences policières et de la corruption. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, pour atteindre plus de la moitié de la population. De 46 % en 2015, le pays compte désormais plus de 65 % de la population incapable d'acheter de la nourriture et des produits non alimentaires pour répondre aux besoins individuels ou familiaux de base.
Les conditions auxquelles sont confrontés travailleurs et masses rurales sont aggravées par les cyclones et les sécheresses fréquents, intensifiés par le changement climatique, qui ont un impact disproportionné sur les masses rurales. Le Mozambique est également un pays très jeune, avec un âge médian de 17,3 ans.
Si le FRELIMO est largement détesté, Mondlane est un populiste de droite qui n'offre pas d'alternative. Faisant campagne cette année, Mondlane a fait le tour de l'Europe, rencontrant au Portugal le parti d'extrême droite CHEGA, violemment anti-immigrés. Le CHEGA est l'héritier politique de la dictature de Salazar, qui a mené une guerre coloniale brutale contre la lutte pour l'indépendance du Mozambique.
Le Portugal, ex-puissance coloniale du Mozambique, a mené pendant dix ans, entre 1964 et 1974, une guerre coloniale brutale qui a fait plus de 50 000 morts. Mondlane a néanmoins demandé au Portugal de transmettre un message au Mozambique par l'intermédiaire de l'UE, «exigeant le respect des droits de l'homme d'une manière quelque peu vigoureuse».
Mondlane a également rendu hommage à l'ancien président fasciste brésilien Jair Bolsonaro, et a fait l'éloge du futur président Donald Trump pour protéger les valeurs morales de l'Amérique. Avant que les résultats ne soient officiellement annoncés, Mondlane s'est réfugié en Afrique du Sud. Il se cache toujours et fait maintenant des déclarations aux médias européens indiquant qu'il ne veut pas de révolution ou de renversement du régime du FRELIMO.
Mondlane a déclaré à l'Agence France-Presse: «Je pense qu'il y a une atmosphère révolutionnaire, une atmosphère qui montre que nous sommes à la veille d'une transition historique et politique unique dans le pays», tout en insistant pour dire qu'il s'opposait au renversement du gouvernement. «Notre objectif n'est pas d'attaquer le palais présidentiel», a-t-il ajouté. «Nous n'avons jamais dit que nous voulions tenter un coup d'État.»
Le FRELIMO était au départ un mouvement nationaliste visant à obtenir l'indépendance vis-à-vis des Portugais et il est au pouvoir depuis l'indépendance en 1975. Bien qu'il ait été fortement promu par les partis staliniens et pablistes comme un modèle révolutionnaire, le FRELIMO a imposé des mesures d'austérité du FMI à la population dans les dix années qui ont suivi son arrivée au pouvoir. Dans le nord appauvri du pays, il a combattu une insurrection islamiste autour de l'immense gisement de gaz de Cabo Delgado, découvert en 2010.
La société américaine ExxonMobil et la société française TotalEnergies sont les principales sociétés exploitant les champs de Cabo Delgado. Après que des insurgés locaux se soient brièvement emparés de la ville de Palma, au cœur des activités de TotalEnergies en 2021, le géant français de l'énergie a interrompu ses opérations pendant que l'armée mozambicaine torturait et exécutait sommairement des villageois locaux pour «pacifier» la région. Celle-ci a finalement repris le contrôle de la majeure partie de la région avec le soutien des troupes rwandaises.
La question de ces gisements de gaz revêt une urgence accrue pour l'Europe avec la chute des exportations de gaz russe vers l'Europe et la possibilité qu'elles cessent en janvier prochain, à l'expiration du contrat régissant leur transit par l'Ukraine. Une étude récente de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, intitulée «Pourquoi l'Europe a besoin de l'Afrique», déclare: «La guerre en Ukraine a rendu l'Europe plus dépendante de l'approvisionnement en charbon, en gaz naturel et en pétrole en provenance d'Afrique – l'approvisionnement en gaz de l'Afrique vers l'Europe devrait doubler d'ici 2050.»
Mondlane a fait appel à l'impérialisme européen, arguant notamment qu'il est mieux placé pour gérer l'insurrection islamiste dans le nord du pays. Il a salué une motion du parti de droite portugais Initiative libérale visant à ne pas reconnaître le résultat des élections.
Tout au long de sa carrière, Mondlane a été un politicien opportuniste, principalement soucieux de convaincre les capitaux étrangers qu'il était un homme sûr. Il s'est présenté pour la première fois à la mairie de la capitale, Maputo, en 2013, au sein du parti MDM (Mouvement pour la démocratie au Mozambique). La même année, il a participé à l'International Visitor Leadership Program du Département d'État américain ; dans ce cadre, des personnalités locales sont désignées par les ambassades américaines pour une collaboration étroite et pour être développés.
En 2018, il a rejoint la RENAMO, qui a été soutenue par les régimes suprématistes blancs de Rhodésie (aujourd'hui Zimbabwe) et de l'Afrique du Sud de l'apartheid pendant la guerre civile au Mozambique. Ces régimes ont utilisé la RENAMO pour déstabiliser le gouvernement du FRELIMO. Cette année, après avoir échoué à obtenir l'investiture de la RENAMO pour se présenter à l'élection présidentielle, Mondlane est passé au PODEMOS, un groupe dissident du FRELIMO.
Les puissances impérialistes observent attentivement les manifestations de masse et préparent la manière d’intervenir dans la situation. Aussi soumis que soit le FRELIMO au capital financier international, le gouvernement mozambicain s’est mis en travers de l'agenda de l'impérialisme américain et européen en restant neutre dans la guerre de l'OTAN contre la Russie en Ukraine. De même, il a soutenu les résolutions de l'ONU appelant à un cessez-le-feu dans le génocide israélo-américain en Palestine.
Le Département d'État américain n'a publié qu'une seule déclaration soigneusement formulée, condamnant le meurtre des deux fonctionnaires de PODEMOS, tout en appelant à régler les griefs électoraux devant les tribunaux, et non par des manifestations. En Europe, la petite Initiative libérale de droite au Portugal est l'une des rares à prendre une position claire, en l'occurrence en faveur de Mondlane.
Dans toute l'Afrique, des manifestations de masse et une opposition à l'impérialisme et aux régimes capitalistes existants éclatent. Alors que l'impérialisme français était chassé du Mali et d'autres pays qu'il occupait au Sahel par des manifestations de masse ces dernières années, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes ont manifesté cette année contre des partis au pouvoir de longue date, notamment au Kenya et au Nigéria. La question décisive dans la lutte contre la pauvreté et pour les droits démocratiques est le développement d'un mouvement de la classe ouvrière africaine, allié à ses frères et sœurs de classe à l’international, contre le capitalisme et pour le socialisme.
(Article paru en anglais le 21 novembre 2024)