À partir de cette semaine, un grand nombre d'entreprises au Québec et en Ontario, les deux provinces les plus peuplées du Canada, ont commencé à rappeler des dizaines et bientôt des centaines de milliers de travailleurs à leur emploi, même si la pandémie de coronavirus continue de faire rage.
Le Québec, qui est l'épicentre de la pandémie au Canada avec plus de la moitié du total national de 62.000 cas confirmés de COVID-19 et 2398 des 4036 décès, se précipite également pour rouvrir par étapes les écoles primaires et les garderies au cours des deux prochaines semaines. Cela est prévu ainsi afin de pouvoir forcer les parents à retourner au travail.
La campagne de retour au travail est dirigée par les premiers ministres canadiens de la droite dure, François Legault au Québec et Doug Ford en Ontario. Ils défient les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et d'autres experts médicaux, afin de relancer le processus d'extraction des bénéfices du travail des travailleurs.
Le plus haut responsable de la santé du Québec, même s'il a promu le plan de retour au travail de la province comme nécessaire à la «santé» économique, a été forcé d'admettre que c'est un «pari risqué» qui coûtera des vies.
Au début de la semaine dernière, le premier ministre Ford a déclaré qu'il devrait y avoir 14 jours de baisse des infections en Ontario avant que les restrictions de confinement puissent être levées en toute sécurité. Cependant, enhardi par la réouverture rapide du Québec et sans aucun doute sous la pression de ses bailleurs de fonds, il a rapidement fait volte-face et a annoncé un plan pour permettre à l'industrie de la construction et à plusieurs autres secteurs d'ouvrir lundi.
Le gouvernement libéral fédéral soi-disant «progressiste» joue un rôle essentiel dans la mise en œuvre de ce retour au travail précipité, qui donne la priorité au profit capitaliste sur la vie des travailleurs et de leurs familles. Avec le soutien des syndicats, le premier ministre Justin Trudeau utilise une démagogie creuse au sujet des Canadiens qui se tiennent ensemble et s'entraident pour dissimuler les actions prédatrices de l'élite dirigeante. Avec un cynisme parfait, Trudeau a affirmé la semaine dernière: «Le redémarrage de notre économie sera graduel et prudent, et sera guidé par la science.» Pourtant, il a donné son feu vert aux décisions de «réouverture» des provinces, même si elles vont à l'encontre des directives de son propre gouvernement pour redémarrer l'économie.
L'élan de l'élite capitaliste pour une réouverture prématurée des entreprises non essentielles est profondément impopulaire. Dans un récent sondage, 90% des Canadiens ont déclaré que des mesures de confinement devraient rester en place jusqu'à ce qu'un vaccin soit disponible, ou que le système de santé ait été suffisamment renforcé, grâce à une injection importante de ressources, pour faire face à une flambée de cas de COVID-19. Mais la colère et l'indignation sont insuffisantes pour arrêter le retour précipité de retour au travail. Ce qu'il faut, c'est une mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière pour lutter pour des politiques qui donnent la priorité à la sauvegarde de vies humaines et à la protection des travailleurs contre les retombées économiques de la pandémie, et non pas aux profits des entreprises et aux bénéfices des investisseurs.
En l'absence de l'intervention indépendante de la classe ouvrière, les travailleurs sont confrontés à un choix désastreux entre risquer leur santé et leur vie en retournant au travail ou être poussés vers le dénuement, et finalement la faim et l’itinérance.
Les grandes entreprises, leurs porte-parole des médias et l'opposition officielle conservatrice se plaignent déjà que les programmes de fortune que le gouvernement Trudeau a mis en place pour fournir un soulagement temporaire aux plus de 8 millions de travailleurs qui ont perdu leur emploi – la Prestation d'urgence canadienne (CERB) et la Prestation d'urgence canadienne pour étudiants (CESB) récemment adoptée – sont trop généreux. Le chef conservateur Andrew Scheer et le premier ministre conservateur du Manitoba, Brian Pallister, ont dénoncé le CERB. Pallister, dont le gouvernement est en train de licencier des milliers de travailleurs du secteur public, a déclaré qu'il «lutte contre un programme fédéral» qui «paie les gens à rester en dehors de la main-d'œuvre».
L'Institut C. D. Howe, sans doute le groupe de réflexion le plus proche du monde des affaires au pays, a publié la semaine dernière un rapport qui exigeait la suppression du CERB, car il agit comme «un frein au travail». Le chroniqueur du National Post, John Ivison, s'est plaint que le CERB de 2000 $ par mois, qui ne couvre même pas le coût de la location d'un appartement d'une chambre à Toronto et à Vancouver, est un «cadeau extravagant» qui risque de transformer les travailleurs en «fainéants sur l’assistance publique».
Pour forcer les travailleurs à reprendre le travail dans des conditions dangereuses, les gouvernements et les employeurs ont l'intention de les menacer de la perte du CERB et de tous les droits à l'assurance-emploi. Cette tâche sera d'autant plus facile que le gouvernement Trudeau sous-finance le programme CERB, qui aurait versé plus de 60% de son maigre budget de 35 milliards de dollars moins de deux mois après sa création.
Le ministre du Travail du Québec, Jean Boulet, a déclaré à maintes reprises que les travailleurs qui ne retournent pas au travail sur ordre de leur employeur perdront leurs prestations gouvernementales. Interrogé lors de sa conférence de presse de lundi sur ce qu'il pense des propos de Boulet, le premier ministre Legault les a appuyés.
Tout au long de la pandémie, le gouvernement Trudeau, comme l'administration Trump et les gouvernements européens, a mis l'accent sur la sauvegarde de la richesse et des investissements des riches et des super-riches. Soit directement, soit par l'intermédiaire de la Banque du Canada, de la Société canadienne d'hypothèques et de logement et d'autres institutions d'État, les libéraux ont injecté plus de 650 milliards de dollars dans les marchés financiers, les banques et les grandes entreprises. Les travailleurs, quant à eux, ont bénéficié d'une aide minimale. De même, le gouvernement libéral n'a engagé qu'une somme dérisoire – moins de 4 milliards de dollars – pour renforcer le système de santé canadien, ravagé par des décennies de coupures, et pour rechercher un vaccin ou un autre traitement contre le COVID-19.
L'élite dirigeante considère la flambée inévitable de cas et de décès qui résultera d'un retour prématuré au travail comme un prix à payer pour stimuler les bénéfices des entreprises. Affirmant tout haut ce que le gouvernement et les chefs d'entreprise de partout au pays disent en privé, le premier ministre Legault a déclaré le 23 avril que «l'immunité collective ... est le meilleur moyen de sortir de la pandémie actuelle».
Tous les experts conviennent que la poursuite d'une politique d’«immunité collective» entraînera la mort de dizaines, ou plus probablement, de centaines de milliers de Canadiens.
Les travailleurs devraient rejeter l'affirmation implicite qui se cache derrière la volonté imprudente de rouvrir l'économie: selon laquelle il n'y a pas assez d'argent pour les soutenir pendant la pandémie. Les 650 milliards de dollars qui ont été remis aux banques et aux marchés financiers suffiraient à fournir à chacun des 37 millions d'habitants du Canada un chèque de 17.500 $.
Les néo-démocrates et les syndicats sont intimement impliqués dans la tentative de tromper et d'intimider les travailleurs pour qu’ils retournent au travail en pleine pandémie. Le Congrès du travail du Canada (CTC) a joué un rôle de premier plan dans la conception du CERB, dans le cadre de ce qu'il présente comme un «front collaboratif» avec le gouvernement et les entreprises. Et le NPD et les syndicats se sont unis dans la conspiration du silence sur les vastes sommes qui ont été remises aux banques, aux entreprises et aux investisseurs: des sommes qui sont des créances sur la valeur extraite de la classe ouvrière et qui à l'avenir seront invoquées pour justifier une nouvelle série de mesures d'austérité encore plus brutales.
Les événements à l'usine de conditionnement de viande de Cargill à High River, en Alberta, montrent à quel point la bureaucratie syndicale est prête à défendre sa collaboration avec les patrons et l'État. L'usine a enregistré plus de 900 infections et un décès, sept travailleurs restant à l'hôpital. Cependant, les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC) se sont opposés à des mesures pour empêcher la réouverture de l'usine ce lundi, se joignant à la direction et au gouvernement du Parti conservateur uni de l'Alberta pour condamner une grève qui vise à protéger la vie des travailleurs en la qualifiant d’«illégale».
Les travailleurs ont déjà montré leur détermination à lutter contre la politique criminelle de retour au travail de la classe dirigeante. L’état d’urgence et les mesures de distanciation sociale n'ont été adoptés qu'après une vague de grèves et de manifestations à travers l'Amérique du Nord en mars, y compris par des travailleurs de Fiat-Chrysler à l'usine de montage de 6000 personnes à Windsor, en Ontario. Les grèves des livreurs, des travailleurs du transport en commun et du personnel médical aux États-Unis et dans le monde pour des équipements de protection individuelle et d'autres mesures de sécurité constituent une contestation directe de la politique de l'élite patronale de placer les bénéfices avant la vie des travailleurs.
Les travailleurs doivent rejeter tous les efforts de la classe dirigeante pour les intimider à retourner au travail au milieu d'une pandémie qui fait rage. Ils doivent intervenir avec leur propre programme indépendant pour protéger la vie et les moyens de subsistance des travailleurs: un programme qui commence par les besoins sociaux, et non par ce que les capitalistes prétendent pouvoir se permettre. Ce programme devrait inclure le déploiement de tests de masse, le dépistage et la mise en quarantaine pour contenir le virus; la fermeture de toutes les industries non essentielles avec un salaire complet pour tous les travailleurs touchés; la fourniture de masques, de gants et d'autres équipements de protection individuelle au personnel médical et aux autres travailleurs essentiels; et l'investissement de milliards dans le système de santé pour fournir les meilleurs soins possible aux personnes infectées par le virus.
Pour lutter pour ces demandes, les travailleurs doivent créer des comités d'action dans leurs lieux de travail et leurs quartiers, indépendants des syndicats et du NPD et en opposition à eux, qui depuis des décennies répriment la lutte des classes et aident désormais l'élite dirigeante à ramener de force les travailleurs au travail.
Aucune de ces exigences ne peut être satisfaite sous le capitalisme. L'oligarchie financière qui constitue le noyau de la classe dirigeante, et à qui les politiciens sont redevables, considère tout l'argent dépensé pour les moyens de subsistance des travailleurs et les services sociaux comme une ponction sur ses bénéfices. Les travailleurs doivent mener une lutte politique en alliance avec leurs frères et sœurs de classe à l'échelle internationale pour amener au pouvoir des gouvernements de travailleurs engagés dans des politiques socialistes, afin que les abondantes ressources de la société puissent être redéployées pour protéger la vie humaine et les moyens de subsistance des travailleurs, plutôt que d'augmenter les bénéfices privés et le nombre de morts.
(Article paru en anglais le 6 mai 2020)
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