Mercredi, le président américain Joe Biden a publiquement adhéré à la théorie du complot selon laquelle le COVID-19 pourrait provenir de l’Institut de virologie de Wuhan, en Chine, et a ordonné aux agences de renseignement américaines de produire un rapport dans les 90 jours sur les origines potentiellement humaines de la maladie.
Les agences de renseignement chargées de déterminer si le COVID-19 est une arme biologique ont joué un rôle de premier plan dans l’un des plus grands crimes du XXIe siècle: l’invasion américaine de l’Irak en 2003 fondée sur des allégations fabriquées par la Central Intelligence Agency selon lesquelles l’Irak possédait des «armes de destruction massive» chimiques, biologiques et nucléaires. Ce mensonge a entraîné la mort de plus d’un million de personnes et englouti le Moyen-Orient dans une guerre qui dure encore aujourd’hui.
Maintenant, un mensonge encore plus grand et plus dangereux est perpétré. Le gouvernement Biden, comme le gouvernement Trump avant lui, tente de rendre la Chine responsable d’une maladie qui a entraîné, selon certaines estimations, la mort d’au moins un million de personnes aux États-Unis. Si, comme l’a publiquement affirmé le gouvernement Trump, le COVID-19 est un «virus armé» envoyé par Pékin contre la population américaine, cela constituerait un motif de guerre contre le pays le plus peuplé du monde.
Comme pour les «armes de destruction massive», des fuites qui proviennent d’agents de renseignements anonymes sont présentées comme des preuves dans une campagne médiatique coordonnée. En l’espace de quelques jours, l’ensemble des médias américains ont adopté cette théorie du complot discréditée, comme le résume un article du principal vérificateur de faits du Washington Post intitulé «Comment la théorie de la fuite du laboratoire de Wuhan est soudainement devenue crédible».
Les conditions de ce revirement soudain ont été créées par un article publié dans le Wall Street Journal dimanche qui affirmait qu’«un rapport des services de renseignement américains non divulgué auparavant» révèle que trois membres du personnel de l’institut sont tombés malades et ont demandé des soins hospitaliers en novembre 2019. L’article laisse entendre que ces trois cas sont la véritable origine de la pandémie de COVID-19. L’article du Journal ne comprend cependant rien de fondamentalement nouveau au-delà du contenu d’une fiche d’information publiée par le département d’État de Trump le 15 janvier.
En d’autres termes, tout ce que la CIA, la NSA et leurs homologues – financés à hauteur de dizaines de milliards de dollars pour espionner le monde entier – ont pu trouver, c’est que quelques personnes qui travaillent au WIV ont présenté des symptômes qui, de l’aveu même du département d’État, sont «compatibles avec… des maladies saisonnières courantes», le mois qui a précédé la première détection du virus.
Cette histoire a été reprise presque immédiatement par d’autres grands médias, dont le Washington Post, Forbes, le New York Times, Reuters, CNN et d’autres. Elle a également été reprise, peut-être de la manière la plus honteuse qui soit, par le Dr Anthony Fauci, qui était considéré par des millions de personnes comme la voix de la clarté scientifique concernant les dangers du virus, alors que Trump prétendait que la pandémie allait simplement «disparaître».
Interrogé sur l’article du Journal mardi, Fauci a déclaré: «Parce que nous ne savons pas à 100 pour cent quelle est l’origine du virus, c’est impératif de chercher et de mener une enquête.» Ses commentaires constituent un virage à 180 degrés par rapport à ce qu’il a dit l’année dernière lorsqu’on lui a posé une question similaire. À l’époque, il avait déclaré: «Un certain nombre de biologistes évolutionnistes très qualifiés ont dit que tout ce qui concerne l’évolution par étapes au fil du temps indique fortement qu’elle a évolué dans la nature et a ensuite sauté d’une espèce à l’autre».
Selon les partisans initiaux de la théorie du complot du laboratoire de Wuhan, comme le milliardaire chinois Miles Guo et le journal d’extrême droite Epoch Times, le gouvernement chinois a créé le SRAS-CoV-2 en tant qu’arme biologique à l’aide du financement d’expériences de «gain de fonction» par l’Institut national de la santé des États-Unis. De nombreux politiciens de droite ont repris cette ligne, dont Rand Paul, qui, pas plus tard que le 11 mai, a accusé Fauci d’avoir autorisé de telles recherches.
Dans la version édulcorée aujourd’hui promue par le Washington Post et le New York Times, le COVID-19 «pourrait» s’être échappé de l’Institut de virologie de Wuhan (WIV). Dans les deux scénarios, cependant, la responsabilité des 3,5 millions de décès au moins causés par la pandémie est clairement attribuée à la Chine.
L’enquête sur les origines du COVID-19 menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rejeté de telles affirmations en janvier et février derniers. S’appuyant sur les efforts collectifs d’une équipe internationale composée des meilleurs chercheurs en épidémiologie d’Australie, de Chine, du Danemark, d’Allemagne, du Japon, des Pays-Bas, du Qatar, de Russie, des États-Unis et du Vietnam, le rapport conjoint de l’OMS et de la Chine a envisagé la possibilité d’une fuite en laboratoire et l’a jugée extrêmement improbable. Le rapport a déclaré: «Il n’existe aucune trace de virus étroitement liés au SRAS-CoV-2 dans aucun laboratoire avant décembre 2019 ni de génomes qui, combinés, pourraient fournir un génome du SRAS-CoV-2».
Le rapport de l’OMS a au contraire réaffirmé ce que tout scientifique crédible considère comme exact, à savoir que le virus est venu d’une source naturelle, très probablement d’une population de chauves-souris, et a sauté à travers une série d’autres animaux avant de finalement muter pour être contagieux et mortel pour les humains.
En l’absence de toute preuve positive de leur thèse du «virus créé par l’homme», le gouvernement Biden et les médias américains ont commencé à dénoncer le rapport de l’OMS, le qualifiant d’indigne de confiance en raison de l’implication de responsables chinois de la santé publique. À cette fin, Biden a fait appel à 13 de ses plus proches alliés pour publier une déclaration commune le 30 mars appelant à une enquête «indépendante» qui n’aurait pas «d’interférence et d’influence indue» de la part de la Chine.
Essentiellement, ils exigent que la Chine fasse l’impossible: prouver à 100 pour cent que le virus ne provient pas d’un de ses laboratoires. En même temps, sachant qu’il faut parfois des années pour trouver l’origine naturelle d’une nouvelle maladie – il aura fallu 13 ans pour confirmer l’origine du premier virus du SRAS et les origines du virus Ebola font toujours l’objet de recherches – Biden et ses alliés adoptent une approche antiscientifique en proposant une théorie et en affirmant que toute lacune dans les connaissances sur les origines de la pandémie vient étayer leur affirmation.
Il convient de noter que ces hypothèses sur les origines du COVID-19 présentent une similitude remarquable avec les anciennes idées de droite sur les origines du VIH selon lesquelles le gouvernement des États-Unis l’aurait développé afin de supprimer diverses populations, en particulier celles d’origine africaine et hispanique et les homosexuels. Fauci, qui a contribué à mener la lutte initiale contre la pandémie de VIH/SIDA dans les années 1980, est sans doute conscient de ces parallèles et des effets immensément néfastes qu’ils ont eu sur l’éducation des travailleurs et des jeunes concernant les dangers de la maladie et les précautions à prendre pour la prévenir.
Promouvoir la fausse idée que la pandémie de coronavirus est d’origine humaine est encore plus dangereux. En l’espace de 15 mois seulement, plus de 600.000 personnes sont mortes du COVID-19 aux États-Unis, et le véritable bilan est probablement plus proche du million. Le bilan mondial officiel est de plus de trois millions et demi de morts. La colère sociale suscitée par la mort de tant de personnes est immense et cherche un exutoire. En faisant la promotion du mensonge du laboratoire de Wuhan, le gouvernement Biden cherche à détourner la responsabilité des politiques de l’élite financière et à blâmer son adversaire géopolitique dans une forme de «culpabilité de guerre».
De telles actions font partie intégrante de la campagne de guerre du gouvernement Biden contre la Chine. Depuis son entrée en fonction, Biden a tenté de créer un cadre politique pour mener la guerre, avec le soutien des médias. Il s’agit notamment d’allégations de génocide chinois à l’encontre de sa minorité musulmane ouïghoure; d’une agression potentielle de la Chine contre Taïwan; et, surtout, de l’implication que les souffrances massives de ces 18 derniers mois sont en fin de compte dues, au mieux, à la négligence de la Chine, ou – au pire – à l’arme biologique la plus mortelle jamais libérée.
En promouvant ces idées, le gouvernement Biden tente également d’alléger la pression sur sa propre politique intérieure, qui est essentiellement la même que celle de Trump. La classe ouvrière américaine est parfaitement consciente que la grande majorité des décès causés par la pandémie auraient pu être évités si on avait mis en place des mesures de santé publique de base dès le début, mesures que Trump a combattues à chaque étape et que Biden abandonne maintenant en bloc.
Maintenant que Biden, le Wall Street Journal et le Washington Post ont donné vie au mensonge du laboratoire de Wuhan, il va s’inscrire dans le sang politique du pays. Après l’avoir légitimé, ils en perdront le contrôle à mesure que l’extrême droite se renforce par la propagation de ces conceptions réactionnaires. Elle servira de motif aux attaques violentes contre les Américains d’origine asiatique, qui se sont multipliées au cours de l’année écoulée.
Le Washington Post a explicitement promu le sénateur fasciste Tom Cotton (représentant républicain d’Arkansas) comme quelqu’un qui a «dès le début» promu cette théorie du complot et que «les livres d’histoire» pourraient finalement «récompenser.» Cotton soutient qu’on a volé l’élection de 2020 et que Trump est toujours le chef exécutif légitime, et lui accorder une telle crédibilité ne fait que soutenir les forces politiques derrière l’insurrection du 6 janvier.
Ce sont ces forces qui bénéficient en fin de compte de l’atmosphère d’anti-science et de xénophobie engendrée par le gouvernement Biden et l’establishment médiatique américain. Ils n’ont aucun intérêt à protéger la vie de la population américaine, et encore moins à rechercher la «vérité» sur les origines de la pandémie, mais tentent de protéger les intérêts du grand patronat et de la finance du pays tout en préparant de nouvelles campagnes impérialistes à l’étranger.
Il faut s’opposer aux efforts cyniques du gouvernement Biden pour rendre la Chine responsable des crimes du capitalisme américain. Les travailleurs américains doivent rejeter la xénophobie et le nationalisme et dire ensemble avec leurs frères et sœurs chinois: notre ennemi est la classe capitaliste!
(Article paru d’abord en anglais le 27 mai 2021)