Comment la pseudo-gauche dissimule la trahison des travailleurs de l’automobile par l’UAW

Shawn Fain, président des United Auto Workers, prenant la parole avant le président Joe Biden lors d’une activité de soutien tenue le 9 novembre 2023 à Belvidere, dans l’Illinois [AP Photo/Paul Beaty]

À la suite de l’annonce le 20 novembre par le syndicat des Travailleurs unis de l’automobile (United Auto Workers – UAW) de la ratification d’ententes favorables aux entreprises chez General Motors, Ford et Stellantis, les organisations de la pseudo-gauche de la classe moyenne se sont empressées de sauver la crédibilité de l’appareil syndical de l’UAW et d’empêcher que l’on parle de sa trahison.

Les contrats conclus avec les Trois Grands de l’automobile ont été présentés presque universellement comme «historiques» par les médias, la Maison-Blanche et les groupes se présentant faussement «de gauche», notamment les Democratic Socialists of America, ou DSA (Socialistes démocrates d’Amérique).

Mais ce récit peint en rose s’est rapidement avéré difficile à maintenir, car les ententes prétendument «record» de l’UAW ont suscité une opposition généralisée parmi les travailleurs. Chez GM, 47 % des travailleurs de la production ont voté contre l’entente, même selon le décompte officiel douteux de l’UAW, qui incluait les travailleurs d’Ultium et de GM Subsystems qui n’étaient pas employés par General Motors au moment du vote.

Un grand nombre de travailleurs de l’automobile considèrent à juste titre ces contrats comme la dernière d’une longue série de trahisons de la part de l’UAW. Les contrats sont très éloignés des véritables revendications des travailleurs de la base, qui demandaient des augmentations de salaire de 50 %, le montant d’indemnité de vie chère (COLA) entièrement lié à l’inflation, le redressement des pensions et des prestations de santé pour les retraités, une réduction du temps de travail sans perte de salaire, aucune fermeture d’usine ni aucun licenciement, et bien d’autres choses encore.

La seule expression organisée de l’opposition des travailleurs se trouvait dans le Réseau des comités de base des travailleurs de l’automobile (Autoworkers Rank-and-File Committee Network). Les comités de base de GM Flint et Lansing Assembly, de Stellantis Toledo Jeep et de Warren Truck, de Ford Dearborn Truck et de l’usine Mack Trucks en Pennsylvanie ont contré la propagande des entreprises et de la bureaucratie de l’UAW, ont fait campagne pour une mobilisation en faveur d’une grève totale dans l’ensemble de l’industrie automobile, et ont lancé un appel aux travailleurs du monde pour mener une lutte unifiée à l’échelle internationale.

Beaucoup plus de travailleurs auraient voté contre les ententes s’ils avaient cru que cela aurait contraint les dirigeants de l’UAW à se battre pour quelque chose de plus. Mais dès le début, le président de l’UAW, Shawn Fain, et son administration se sont efforcés de désamorcer l’opposition et d’obtenir des contrats acceptables pour les entreprises et l’administration Biden.

Les dirigeants de l’UAW ont imposé aux travailleurs leur «stand up strike», une politique perfide de «grève debout» conçue pour exercer un effet de levier maximal non pas sur les entreprises, mais bien sur les travailleurs. Avec cette politique, la vaste majorité des travailleurs – jusqu’à 70 % même au plus fort de la grève – ont continué de travailler, permettant aux entreprises de continuer à engranger des bénéfices. Pendant ce temps, la direction avait les coudées franches pour mettre à pied des milliers de travailleurs pendant la grève, les plaçant ainsi sous une pression financière extrême lors des votes de ratification.

Lorsqu’ils ont annoncé la conclusion d’ententes, les responsables de l’UAW ont déclaré à plusieurs reprises qu’elles étaient «les meilleures que les travailleurs puissent obtenir» et qu’ils avaient «soutiré à ces entreprises jusqu’au dernier cent possible» (Fain).

Mais les affirmations de l’UAW selon lesquelles le syndicat était parvenu à «soutirer jusqu’au dernier cent possible» se sont rapidement effondrées. Pas plus tard que la semaine dernière, GM annonçait le plus important rachat d’actions de son histoire, pour un montant total de 10 milliards de dollars, ainsi qu’une augmentation de 30 % de ses dividendes. GM et Ford pour leur part ont tous deux publié des estimations actualisées de leurs bénéfices, prévoyant des profits de plus de 10 milliards de dollars pour 2023, et elles ont toutes deux déclaré qu’elles prévoyaient compenser la croissance relative des coûts de main-d’œuvre en augmentant la productivité (c’est-à-dire en accélérant les cadences) et en réduisant leurs coûts.

La «victoire éclatante» inventée de toute pièce par Jacobin

La défense la plus cynique et la plus intéressée de la trahison de l’UAW est venue des Democratic Socialists of America (DSA), avec leur magazine Jacobin et la publication Labor Notes qui leur est étroitement liée. Dans une série d’articles, Jacobin a menti sur la nature des contrats, allant jusqu’à les décrire comme une «victoire historique et transformatrice» (1er novembre) et une «victoire stupéfiante» (21 novembre), et prétendant qu’ils contenaient «d’importantes augmentations de salaire et en matière d’avantages sociaux» (1er décembre).

Dans le dernier article paru le 4 décembre à ce sujet dans Jacobin, Alex N. Press écrit : «Les contrats des Trois Grands de l’automobile, désormais ratifiés, comprennent une série de victoires, allant de la reprise du versement d’indemnités de vie chère qui avaient été abandonnées pendant la Grande Récession à des augmentations de salaire de 33 %, en passant par la conversion de nombreux postes temporaires en postes à temps plein, les salaires de certains des employés touchés ayant plus que doublé. Le contrat de Stellantis prévoit également la réouverture d’une usine d’assemblage à Belvidere, dans l’Illinois, une priorité pour les anciens travailleurs de cette usine qui se sont retrouvés dispersés à travers le pays après que Stellantis ait fermé l’atelier au début de l’année».

Le résumé sommaire des contrats livré par Jacobin est tout à fait malhonnête. Il compte sur l’ignorance de ses lecteurs quant aux détails des ententes et les conditions de vie réelles des travailleurs de l’automobile.

Tout d’abord, les contrats augmentent les salaires de base des travailleurs de 25 %, et non pas de 33 %, un chiffre bien inférieur aux 46 % et plus que les travailleurs avaient demandés. Cette augmentation de 25 % signifie que dans les faits, les travailleurs gagneront toujours moins en termes réels qu’il y a 20 ou même 15 ans – le Bureau des statistiques du travail estimant que les salaires des travailleurs de l’automobile ont chuté de 30 % depuis 2003. Par ailleurs, les augmentations prévues comme indemnité de vie chère (COLA) ne couvriront qu’une fraction de l’inflation officielle. Ainsi, le syndicat UAW lui-même prévoit une augmentation de l’indemnité COLA inférieure à 1,3 % pour les travailleurs âgés pour 2024.

Piquet de grève de travailleurs de l’automobile aux abords de l’usine d’assemblage de General Motors de Delta Township, dans le Michigan, le 29 septembre 2023 [AP Photo/Paul Sancya]

Ensuite, il est révélateur que l’article de Jacobin ne fasse référence qu’à la conversion de «nombreux» postes temporaires en postes à temps plein, reconnaissant ainsi indirectement, tout en les contournant, les mensonges de Fain selon lesquels tous les postes de travailleurs temporaires seraient convertis en postes à temps plein dans le cadre des contrats et que le phénomène du statut «perma-temporaire» prendrait fin. En réalité, le syndicat UAW a donné à GM la possibilité de maintenir à perpétuité les travailleurs temporaires dans leur statut de seconde classe à temps partiel, et Stellantis de son côté n’a accepté de ne convertir qu’un nombre déterminé de postes intérimaires et ce, 90 jours après la ratification.

Enfin, Press vante bien certes la réouverture de l’usine d’assemblage de Belvidere, mais ce qu’elle omet de mentionner, c’est qu’on ne prévoit pas y produire quoi que ce soit avant 2027, et que l’entreprise a utilisé la menace de sa fermeture permanente pour obtenir des aides massives de l’État de l’Illinois, se chiffrant probablement à plusieurs milliards de dollars, le tout soutenu par le Parti démocrate. En outre, la construction d’une usine de batteries pour véhicules électriques au site n’est pas prévue avant 2028, et les travailleurs qui y seront employés seront sans aucun doute relégués à un niveau de salaire inférieur, en admettant que l’usine même se concrétise.

Le contrat signé entre l’UAW et Stellantis prévoit la fermeture de 19 sites, alors que l’entente conclue entre l’UAW et Ford considère comme «excédentaires» tous les travailleurs de Rouge Complex à compter du 1er décembre, et tout indique qu’un quart de travail sera bientôt supprimé à l’usine de camions électriques sur place.

Le 7 décembre, le constructeur Stellantis annonçait qu’il allait licencier jusqu’à 1.200 travailleurs de son complexe d’assemblage de Toledo dès le 5 février. Ce chiffre comprend 1.100 travailleurs temporaires à temps partiel à qui l’on a dit qu’ils seraient transférés à des postes à temps plein. Les 5.800 travailleurs de Jeep ont du faire la grève pendant six semaines avant que l’UAW n’annonce une entente, que 61 % des travailleurs de l’usine de Toledo ont par ailleurs rejetée.

Ces mesures ne sont que les premières de l’assaut massif prévu contre les emplois dans le cadre de la transition vers les véhicules électriques.

Les DSA défendent leur trahison

Les DSA, une faction du Parti démocrate, ont tout intérêt à défendre la trahison du syndicat UAW puisqu’ils ont eux-mêmes joué un rôle central dans la «négociation» de ces contrats, les vendant aux travailleurs et aidant le syndicat à les imposer.

De concert avec Labor Notes, les DSA ont mené la campagne du caucus «Unite All Workers for Democracy» et de la liste Members United lors des élections nationales de l’UAW l’année dernière, qui ont amené l’actuel président de l’UAW, Shawn Fain, au pouvoir.

Les élections syndicales à l’UAW étaient une parodie de démocratie. La bureaucratie a délibérément omis de notifier les élections de façon adéquate et refusé de mettre à jour sa base de données avec les adresses des membres, ce qui s’est traduit par un taux de participation historiquement bas de seulement 9 % au premier tour, comme l’expliquent en détail une série de contestations électorales et un procès intenté par Will Lehman, travailleur de la base chez Mack Trucks et candidat socialiste au poste de président de l’UAW.

L’«élection» de Fain – un bureaucrate de carrière qui a passé des décennies à gravir les échelons de l’appareil syndical – a été déclarée en mars après qu’il ait obtenu seulement 3 % des voix de la base – près d’un million de membres de l’UAW n’ayant pas pu voter. Tant l’UAWD que Labor Notes, et à leur suite les DSA, ont néanmoins salué l’élection de Fain et délibérément dissimulé le piétinement des droits des travailleurs qui en a résulté, bien qu’ils aient prétendu pendant des années mener une lutte pour «démocratiser» l’UAW.

L’élévation de Fain et d’autres bureaucrates «réformistes» récemment découverts à la tête du syndicat n’est pas le produit d’une rébellion de la base parmi les travailleurs de l’automobile, mais plutôt une intervention politique de la classe dirigeante, menée par le Parti démocrate, pour prévenir une révolte totale.

Contrairement à l’image donnée par les médias de la «surprise» de la Maison-Blanche lors de l’élection de Fain, l’administration a travaillé assidûment pour légitimer la direction de l’UAW. Le ministère du Travail de Joe Biden a donné sa bénédiction aux élections syndicales frauduleuses et a pris position du côté de la bureaucratie de l’UAW dans le procès intenté par Lehman qui exige que les élections soient réorganisées et que tous les travailleurs soient prévenus en temps utile. Lors du conflit de travail dans le secteur de l’automobile, tant l’UAW que la Maison-Blanche ont admis qu’ils communiquaient quotidiennement, dans le cadre d’une conspiration contre les travailleurs.

La capitulation par l’administration Fain devant les Trois Grands de l’automobile, tout comme les grèves chez le fabricant de batteries Clarios et chez Mack Trucks cette année, confirment les avertissements lancés par le Réseau des comités de base des travailleurs de l’automobile et son évaluation de la «nouvelle» direction de l’UAW. Une résolution adoptée lors d’une réunion des comités de la base qui s’est tenue à Detroit le 26 mars, le jour même où Fain prêtait serment, déclarait :

La véritable lutte pour la démocratie dans le syndicat est devant nous. Le remaniement des postes parmi les bureaucrates de Solidarity House (le siège social de l’UAW) ne change rien. La collaboration de l’UAW avec le gouvernement et les grandes entreprises, la trahison des intérêts des travailleurs et la suppression de leurs droits démocratiques ne seront pas modifiées par le remplacement du président Curry par Fain. Ce qu’il faut, c’est le transfert du pouvoir à la base et l’élimination de tout l’appareil de l’UAW.

La «DSA-ification» de l’appareil de l’UAW

Les DSA font partie intégrante de la tentative de réhabilitation de l’appareil syndical de l’UAW par les Démocrates. Ses membres sont plus que de simples cheerleaders «externes» à la Jacobin. Ils sont maintenant rendus une section importante du personnel dirigeant de la bureaucratie de l’UAW.

Ce sont notamment :

- Brandon Mancilla, directeur de la région 9A de l’UAW, qui a supervisé la capitulation des étudiants de Harvard en 2021

- Vail Kohnert-Yount, directeur adjoint de la région 9A de l’UAW, un agent de longue date du Parti démocrate, nommé à son poste après avoir fait un don de 25.000 dollars à la campagne Fain.

- Jonah Furman, directeur des communications de l’UAW et ancien rédacteur de Labor Notes, l’un des principaux collaborateurs de campagne du sénateur Bernie Sanders et de la députée DSA Alexandria Ocasio-Cortez.

- Brian O. Shepherd, directeur de l’organisation de l’UAW et vétéran de la US Navy.

- Chris Brooks, également ancien rédacteur de Labor Notes, d’abord responsable de l’équipe de transition Fain et maintenant «assistant principal» au bureau de ce dernier.

- Benjamin Dictor, avocat de l’UAW.

L’élévation des membres des DSA leur a permis d’accéder aux revenus lucratifs et aux privilèges associés à l’appareil bureaucratique de l’UAW. Plus de 450 membres du personnel de Solidarity House le siège de l’UAW à Detroit sont payés plus de 100.000 dollars par année, selon des documents fédéraux, et les directeurs régionaux et autres titulaires de postes de haut niveau gagnent plus de 200.000 dollars.

L’ascension de la pseudo-gauche ne s’est en aucun cas limitée à l’UAW. Un processus similaire s’est produit chez les Teamsters, avec les «Teamsters for a Democratic Union» et le candidat «réformateur» récemment découvert, Sean O’Brien, qui ont travaillé à l’application de contrats de capitulation chez les cheminots et UPS au cours de l’année écoulée, travaillant en étroite collaboration avec l’administration Biden pour garantir la «paix sociale».

Les DSA, comme l’a expliqué le WSWS, ne sont pas une organisation socialiste, mais une section du Parti démocrate reflétant les intérêts des couches aisées de la classe moyenne supérieure. Organiquement hostiles à la classe ouvrière, ils s’appuient sur les politiques réactionnaires de la race, du genre et autres formes d’identité. Parallèlement, les DSA cherchent à maintenir les travailleurs subordonnés aux appareils syndicaux (qu’ils dirigent de plus en plus), afin de soutenir le Parti démocrate et le système capitaliste dans son ensemble.

Ces dernières années, les DSA ont été de plus en plus démasqués en tant que défenseurs de l’impérialisme et complices des attaques des entreprises contre les travailleurs. Depuis 2022, les représentants des DSA au Congrès ont voté pour l’interdiction de la grève des cheminots et l’imposition d’un contrat de travail largement détesté, également en faveur du financement de la guerre soutenue par les États-Unis en Ukraine et de l’aide militaire à Israël, l’État menant une guerre génocidaire à Gaza.

Le président de l’UAW Shawn Fain partageant la tribune avec Joe Biden à Belvidere, Illinois, le 9 novembre 2023 [Photo: White House]

L’administration Biden s’appuie de plus en plus sur les bureaucraties syndicales et les DSA dans l’escalade de ses guerres impérialistes à l’étranger et de sa guerre contre la classe ouvrière à l’intérieur du pays. Alors que le dernier article de Jacobin fait l’éloge de la résolution cynique du comité exécutif de l’UAW appelant à un cessez-le-feu dans la guerre d’Israël contre Gaza, il passe sous silence les commentaires bien plus révélateurs faits par Fain dans une interview accordée au Detroit News le 1er décembre, dans laquelle il indique clairement que la résolution n’a rien à voir avec la défense des droits des Palestiniens: «Nous ne choisissons pas un camp entre Israël et la Palestine, a-t-il déclaré, mais nous ne voulons pas que des innocents continuent d’être tués à cause d’actes terroristes. Il faut s’occuper des terroristes et aller de l’avant».

Left Voice et Socialist Alternative : La prochaine ligne de défense de l’UAW

Alors que la prétention des DSA à être autre chose que simple porte-parole des Démocrates et de la bureaucratie syndicale devient de plus en plus ténue, d’autres organisations se réclamant de la «gauche» sont apparues comme une ligne de défense supplémentaire contre la trahison du syndicat UAW.

Des exemples de cet effort légèrement plus subtil pour maintenir la crédibilité de l’UAW sont apparus dans des articles de Left Voice et Socialist Alternative le mois dernier.

Les deux articles commencent quand même par l’adulation pure et simple des ententes de l’UAW favorables aux entreprises. Ainsi, le 22 novembre, Socialist Alternative publie: «Avec la ratification de ces contrats de travail, des gains significatifs ont été obtenus [...] Ces gains témoignent de la volonté de se battre des travailleurs de l’automobile contre les Trois Grands et montrent ce qui peut être gagné en lorsqu’on fait grève. À chaque étape, les patrons des Trois Grands disaient qu’il était impossible d’accepter les demandes des travailleurs, avant de finalement céder sous la pression exercée sur leurs profits par le mouvement de grève croissant.»

Pour sa part, Left Voice affirmait déjà dès le 12 novembre, avant même que les ententes ne soient votées, que quand bien même que les travailleurs n’obtenaient pas tout ce qu’ils voulaient, les ententes de l’UAW constituaient «néanmoins une victoire pour tous les travailleurs de l’automobile. Les gains contenus dans ces propositions sont substantiels et constituent un rattrapage significatif des concessions salariales et en matière d’avantages sociaux qui ont été accordées aux Trois Grands de l’automobile au cours des 15 dernières années».

Dans leur présentation malhonnête des termes des ententes, Socialist Alternative et Left Voice ne diffèrent guère de Jacobin, pas plus que des communiqués de presse de l’UAW. En fait, on trouve encore plus de mensonges et de déformations dans leur présentation des faits, comme l’affirmation de Left Voice selon laquelle l’indemnité de vie chère COLA «protégera les salaires contre l’inflation à l’avenir», ou encore l’omission par les deux organisations de toute référence au plan trompeur de l’UAW concernant les travailleurs temporaires.

Alors que Socialist Alternative parle avec désinvolture des travailleurs de Mack Trucks «qui ont rejeté leur entente de principe», affirmant en plus à tort qu’ils sont en grève «pour la première fois en 35 ans» (la grève de cette année est en fait leur deuxième depuis 2019), elle omet de mentionner que tant Fain que la direction de l’UAW ont approuvé à l’unanimité l’entente rejetée par les travailleurs. Aucune mention non plus du rôle du comité de la base chez Mack Trucks dans l’organisation de ce rejet; ni des tactiques de chantage de l’appareil syndical de l’UAW pour faire passer la même entente quelques semaines plus tard.

Piquet de travailleurs de l’usine Mack Trucks de Hagerstown, dans le Maryland, suite au lancement de leur grève le lundi 9 octobre 2023 [AP Photo/Steve Ruark]

Après avoir clairement exprimé leur fidélité à l’appareil syndical de l’UAW, les deux formulent des critiques légères qui ont plus l’air de conseils bienveillants à la bureaucratie sur la façon de mieux redorer son image.

Left Voice publie dans cette veine: «Faire changer de cap à un navire aussi massif que l’UAW, avec ses près de 400.000 membres, n’est pas une tâche facile et ne peut se faire de haut en bas. Malgré les grandes ambitions de Fain, sa rhétorique de lutte des classes et son admiration pour l’ancien président combatif de l’UAW, Walter Reuther, le syndicat reste contrôlé et limité par une direction bureaucratique qui continue d’entraver l’auto-organisation de ses membres et reste liée au Parti démocrate impérialiste».

La publication poursuit en déclarant que la relation de l’UAW avec le Parti démocrate «représente un danger existentiel pour l’UAW et le mouvement syndical. Après tout, le Parti démocrate est l’outil que l’État utilise pour rapprocher les dirigeants syndicaux de l’État et les empêcher d’exercer pleinement leur pouvoir.»

Tout d’abord, suggérer que Fain a de «grandes ambitions», qu’il veut faire «changer de cap» à l’UAW et qu’il est opposé de quelque façon que ce soit à «une direction bureaucratique» est pur mensonge. Fain est un pur produit de la bureaucratie. Il a été directement complice du contrat de concessions de 2009 chez Chrysler et n’a absolument aucun lien avec les luttes de la classe ouvrière. Il n’est rien de plus que le dernier d’une longue lignée de bureaucrates syndicaux se présentant comme «de gauche» et qui sont mis en évidence dans le seul but d’empêcher toute rébellion des travailleurs qui iraient de l’avant en suivant un cours indépendant du syndicat.

Plus fondamentalement, Left Voice présente faussement comme un «danger» potentiel le fait que le Parti démocrate lie la bureaucratie syndicale à l’État – mais c’est déjà un processus très avancé et maintenant irréversible. Left Voice fait comme si la transformation des syndicats en instruments des entreprises et de l’État n’était pas un fait accompli depuis des décennies déjà.

Dès les premiers jours de la formation des syndicats industriels de masse aux États-Unis dans les années 1930, Trotsky avait souligné la tendance inexorable des syndicats, dès qu’ils étaient consolidés, à «tomber sous la coupe de l’État impérialiste». Dans «Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste», article inachevé au moment de son assassinat par un agent stalinien en 1940, Trotsky écrivait:

Il y a un aspect commun dans le développement ou, plus exactement, dans la dégénérescence des organisations syndicales modernes dans le monde entier: c’est leur rapprochement et leur intégration au pouvoir d’État [...] Ce fait seul indique que la tendance à s’intégrer à l’État n’est pas inhérente à telle ou telle doctrine, mais résulte des conditions sociales communes pour tous les syndicats.

Le «rapprochement» des syndicats s’est poursuivi tout au long de la Deuxième Guerre mondiale, les dirigeants de l’UAW – en particulier Reuther – faisant appel au président américain Franklin D. Roosevelt pour convertir les usines automobiles à la production militaire afin de soutenir l’effort de guerre de l’impérialisme américain, tandis que le syndicat faisait respecter les engagements à ne pas faire grève. Il est significatif que Fain, Biden et l’actuel président de Ford aient tous fait l’éloge de ce que l’on appelle «l’arsenal de la démocratie» et du soutien de l’UAW à la production de guerre au cours des derniers mois, dans un contexte où les États-Unis augmentent rapidement leur production militaire et leurs plans de guerre contre la Chine.

Comme l’explique David North dans son essai La dernière année de Trotsky:

L’analyse que Trotsky a faite de la dégénérescence des syndicats – leur intégration au pouvoir de l’État et à la gestion des entreprises – était extraordinairement clairvoyante. La tendance au «rapprochement» des syndicats, de l’État et des entreprises capitalistes s’est poursuivie tout au long de la période de l’après-guerre. En outre, le processus d’intégration économique mondiale et de production transnationale a privé les syndicats d’un cadre national dans lequel ils pouvaient faire pression pour des réformes sociales limitées. Il n’y avait plus de place pour le recours, même le plus modéré, aux méthodes de la lutte des classes pour obtenir des gains minimes. Les syndicats, plutôt que d’obtenir des concessions des entreprises, se sont transformés en compléments de l’État et des entreprises qui servent à obtenir des concessions des travailleurs.

Ainsi, depuis 1979-1980, lorsque le président de l’UAW d’alors, Douglas Fraser, a supervisé les concessions salariales sauvages et l’assaut contre les emplois chez Chrysler, avant de finalement rejoindre le conseil d’administration de l’entreprise, l’appareil syndical de l’UAW n’a jamais cessé de collaborer avec le patronat dans l’assaut ininterrompu contre les travailleurs. Alors que le nombre de travailleurs de l’automobile est passé de 1,5 million à moins de 400.000 aujourd’hui, l’UAW a développé de nouvelles sources de revenus pour maintenir et accroître la richesse de la bureaucratie, notamment grâce au transfert de milliards de dollars provenant des entreprises par le biais des programmes «conjoints» patronal-syndical. Incidemment, ces programmes «conjoints» sont appelés à gonfler encore plus dans le cadre des contrats élaborés par Fain et compagnie cette année.

L’intégration de l’UAW dans le monde corporatif et l’État a franchi une nouvelle étape en 2008-2009, lorsque l’appareil syndical de l’UAW a collaboré avec les entreprises et l’administration Obama en imposant des suppressions d’emplois de grande envergure, des fermetures d’usines et des réductions de salaires en échange de milliards de dollars en actions et du contrôle d’un fonds de soins de santé pour les retraités d’une valeur de plusieurs milliards. Ces contrats de travail sauvages ont été soutenus à l’époque tant par Fain – qui était membre du conseil national de négociation de l’UAW chez Chrysler – que par Biden, alors vice-président des États-Unis.

Left Voice fait comme si ces attaques historiques ne seraient qu’un simple malentendu, décrivant les dirigeants de l’UAW comme souffrant de la «croyance erronée que ce qui est bon pour l’entreprise est bon pour les travailleurs».

Une telle explication subjective n’a rien à voir avec le marxisme. Si l’UAW a officiellement adopté la politique du corporatisme, c’est non pas par «croyance erronée», mais bien plutôt parce c’est là le reflet de changements objectifs survenus dans les relations entre les entreprises, la bureaucratie syndicale et les travailleurs – des changements découlant de profondes transformations dans l’économie mondiale.

Étant fondée sur un programme nationaliste et soutenant le capitalisme, l’UAW ne pouvait apporter aucune réponse progressiste au développement de la mondialisation et l’internationalisation de la production. La bureaucratie de l’UAW est coupée de tout lien, même lointain, avec les intérêts quotidiens des travailleurs. Elle s’appuie plutôt sur les entreprises et l’État pour continuer d’exister.

Left Voice présente des décennies de trahison de l’UAW comme une simple erreur subjective afin de promouvoir l’idée erronée que l’appareil bureaucratique peut servir les intérêts des travailleurs et être détaché du Parti démocrate.

Left Voice masque sa perspective de réforme de la bureaucratie en faisant appel au subterfuge et en jetant du sable aux yeux des travailleurs, mentionnant à diverses reprises la nécessité d’une «auto-organisation» des travailleurs et même de la création de «comités de grève» et d’«assemblées démocratiques». Il en va de même pour Socialist Alternative qui parle de «réseau de base» et de «structures élues sur les lieux de travail».

Ce que Left Voice et Socialist Alternative ont à l’esprit, cependant, ce ne sont pas des organes de lutte de la classe ouvrière véritablement indépendants de la bureaucratie syndicale et du Parti démocrate. Au contraire, ces «comités» et «structures» seraient composés de travailleurs de la base et de responsables syndicaux, et fonctionneraient du coup comme des divisions impuissantes de l’appareil syndical qui, selon eux, doit étendre son emprise encore plus profondément et plus solidement parmi les travailleurs. Ainsi, Socialist Alternative dit qu’il est nécessaire de «développer toute une couche de militants de base et de délégués syndicaux».

Pour la construction de véritables comités de base

Ces palabres à propos de pseudo-«comités» et d’une «auto-organisation» bidon des travailleurs constituent en faits des efforts délibérés pour détourner l’attention des travailleurs et les empêcher de se joindre aux organisations de base véritablement indépendantes et qui prennent de l’expansion, essentiellement celles prônées par les divers partis de l’égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) au niveau international.

En mai 2021, le CIQI a fondé l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Expliquant la raison de sa création, le CIQI publiait:

De nouvelles voies pour la lutte de masse doivent être créées. Il y a plus de 80 ans, alors que la dégénérescence des organisations syndicales était bien moins avancée qu’aujourd’hui, Léon Trotsky – le plus grand stratège de la révolution socialiste mondiale – écrivait que la tâche de la IVe Internationale était «de créer, dans tous les cas où c’est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s’arrêter, si c’est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l’appareil conservateur des syndicats.»

En 2022, Will Lehman s’est présenté à la présidence de l’UAW en tant que partisan déterminé de cette perspective et de l’IWA-RFC. Son programme prévoyait l’abolition de la bureaucratie de l’UAW et le transfert du pouvoir et de la prise de décision aux travailleurs de l’atelier, organisés en comités de base.

Will Lehman en compagnie de travailleuses de l’usine d’assemblage de camions de Warren au Michigan

L’appel à l’abolition de la bureaucratie de l’UAW et au pouvoir de la base, inextricablement lié au développement d’une direction socialiste dans la classe ouvrière, est aux antipodes de la perspective avancée par Left Voice et Socialist Alternative. Bien qu’elles se présentent comme des organisations socialistes ou même «trotskistes», Left Voice et Socialist Alternative se sont depuis longtemps éloignées de tout ce qui ressemble au marxisme ou au socialisme révolutionnaire. Toutes deux sont des descendantes du pablisme – dans le cas de Left Voice, la tendance dirigée par Nahuel Moreno en Argentine; dans le cas de Socialist Alternative, celle dirigée par Ted Grant au Royaume-Uni.

Le pablisme, tout comme ses ramifications qui ont suivi, est une tendance révisionniste et petite-bourgeoise qui a cherché à liquider la Quatrième Internationale et qui a répudié tous les principes fondamentaux du trotskisme. Elle a rejeté le rôle objectivement révolutionnaire du prolétariat et la nécessité de construire une direction marxiste consciente, cherchant au contraire à subordonner la classe ouvrière aux partis staliniens, aux nationalistes bourgeois, aux partis sociaux-démocrates ou travaillistes et aux bureaucraties syndicales.

Alors qu’elles prétendent aujourd’hui soutenir l’idée d’une «indépendance» vis-à-vis des Démocrates (et se présentant donc comme plus «radicales» que les DSA), les organisations Left Voice et Socialist Alternative restent dans les faits fermement orientées dans cette direction : dans le cas de Socialist Alternative, ses membres opèrent au sein des DSA et collaborent étroitement avec les politiciens du Parti démocrate. Ils sont hostiles à tout mouvement insurrectionnel de la classe ouvrière contre l’appareil syndical – qu’ils considèrent comme une institution inviolable – précisément parce que la bureaucratie sert à enchaîner les travailleurs aux Démocrates et au système capitaliste.

Le développement d’un puissant mouvement de masse de la classe ouvrière depuis la base, capable de lutter pour les droits des travailleurs et de les garantir, ne sera possible que par une insurrection contre les bureaucraties syndicales pro-capitalistes et une lutte acharnée contre tous leurs défenseurs.

(Article paru en anglais le 7 décembre 2023)