Des militants indépendantistes de Nouvelle-Calédonie déportés vers des prisons en France

Sept militants indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, arrêtés lors d'un raid matinal à Nouméa le 19 juin, ont été mis en examen samedi dernier et, sans avertissement, évacués vers la métropole pour y être placés en détention provisoire dans l'attente de leur procès.

Au total, onze membres du CCAT (Comité de coordination des actions sur le terrain), accusé d’être le principal groupe organisateur des émeutes du mois dernier, font l’objet d’accusations allant de la destruction organisée de biens et de propriétés à l’incitation au meurtre ou à la tentative de meurtre de policiers.

La Nouvelle-Calédonie en Océanie [Photo by Wikimedia Commons / CC BY 3.0]

Le raid, qui a notamment visé le siège de l’Union calédonienne (UC), le plus grand parti indépendantiste de la colonie, est une provocation de l’État français. Il a eu lieu à peine deux semaines avant le premier tour des élections législatives du 30 juin, convoquées par le président Emmanuel Macron. Ces élections anticipées se déroulent dans un contexte de net glissement vers la droite des élites dirigeantes françaises après la forte progression des partis d’extrême droite aux élections parlementaires européennes.

Le procureur de la République de Nouvelle-Calédonie, Yves Dupas, a indiqué que ces mises en examen faisaient suite à une décision prise par l'un des deux juges dédiés à l'affaire. Le transfert vers la France a été organisé «dans la nuit grâce à un avion spécialement affrété pour la mission», a-t-il précisé. Les prisonniers ont été évacués par le vol prévu à l'avance aux premières heures de dimanche.

Les sept militants kanak ont été déportés, a déclaré Dupas, «en raison de la sensibilité de la procédure et afin de permettre aux investigations de se poursuivre dans le calme, à l’abri de toute pression». Autrement dit, ils sont placés dans un environnement hostile, isolés les uns des autres et de leur base de soutien, et à l’écart de tout conseil juridique. Un coup monté n’est pas à exclure.

Parmi les personnes inculpées figurent Christian Tein, principal dirigeant du CCAT, incarcéré à la maison d'arrêt de Mulhouse, dans le nord-est de la France. Brenda Wanabo-Ipeze, chargée de communication du CCAT, incarcérée à Dijon dans l’est, et Frédérique Muliava, directrice de cabinet du président du Congrès de Nouvelle-Calédonie Roch Wamytan (une figure importante de l'UC), incarcérée à Riom, dans le centre de la France.

Les autres inculpés, non encore transférés, sont Guillaume Vama et Joël Tjibaou, fils du leader du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, signataire de l'accord de 'paix' de Matignon en 1988 et assassiné un an plus tard par des membres de la ligne 'dure' du mouvement indépendantiste.

Selon RNZ Pacific, ces déportations ont suscité un tollé général. L'avocat de Tein, Pierre Ortet, s'est dit «stupéfait» que son client soit envoyé en France, à 17.000 kilomètres de là, accusant les magistrats de «répondre à des considérations purement politiques». L'avocate Christelle Affoue a déclaré: «Avec nos clients en métropole et nous ici, il sera très compliqué d'organiser une défense digne de ce nom.»

Thomas Gruet, avocat de Wanabo-Ipeze, a ajouté: «Ma cliente n’aurait jamais imaginé se retrouver ici. Elle est extrêmement choquée car, selon elle, il s’agit uniquement d’activisme.» «A aucun moment, il n’a été question d’incarcération en France au cours de la procédure. Cela a été annoncé à ma cliente lors du délibéré. Il était trop tard pour contester.» Wanabo a «passé toute sa première nuit (de mise en examen) menottée», a-t-il ajouté, et laisse trois enfants derrière elle à Nouméa.

Un autre avocat, Stéphane Bonomo, a observé: «S’il s’agissait de faire de nouveaux martyrs de la cause indépendantiste, il n’y aurait pas eu de meilleure façon de procéder.» Le président de l’UC, Daniel Goa, a qualifié ce transfert de «déportation politique». «L’indépendance de la justice est une farce en Nouvelle-Calédonie», a-t-il déclaré, dénonçant «la politique coloniale, répressive et rétrograde de la France à l’égard du peuple kanak».

Les militants sont accusés d'être les «donneurs d'ordre» du CCAT, créé l'an dernier par l'UC, l'un des quatre partis de l'alliance FLNKS. Le CCAT a organisé une série de marches et de manifestations, pour la plupart pacifiques, pour s'opposer au projet du gouvernement français de modifier les règles d'éligibilité aux élections locales, ce qui, selon le mouvement indépendantiste, marginaliserait encore davantage le vote de la population autochtone kanak.

Des émeutes avaient éclaté le 13 mai, impliquant principalement des jeunes autochtones kanaks mécontents, après que l'Assemblée nationale française eut voté en faveur de la révision constitutionnelle. Neuf personnes ont été tuées et la capitale Nouméa et ses environs ont été dévastés. Des centaines de personnes ont été blessées et 1200 personnes ont été arrêtées, certaines ayant été évacuées en France en raison de la surpopulation de la prison de Nouméa. Les dégâts sont estimés à 1 milliard d'euros, et jusqu'à 500 entreprises et magasins ont été pillés ou détruits après avoir été incendiés.

Le CCAT a toujours nié toute responsabilité dans les troubles civils. Alors qu’il était assigné à résidence, Tein a accepté une invitation à rencontrer Macron lors de la visite de ce dernier à Nouméa le 23 mai. Comme Macron exigeait que les dirigeants indépendantistes usent de leur influence pour faire démanteler les barrages routiers, Tein s’est rendu sur les réseaux sociaux pour demander l’assouplissement des mesures de sécurité afin de pouvoir parler aux militants.

Malgré une opération policière et militaire massive et la pression exercée par Macron, la rébellion n’a pas été maîtrisée. Le FLNKS a admis qu’il n’avait pas réussi à convaincre les manifestants de retirer les barrages routiers parce que les jeunes militants n’étaient pas convaincus que Macron allait abandonner la réforme électorale. Macron a annoncé le 12 juin qu’il avait «suspendu», mais pas retiré, l’amendement controversé.

Les déportations ont provoqué une nouvelle vague de troubles et d'affrontements. Le Guardian a cité le haut-commissaire français Louis Le Franc qui affirme que les violences ont commencé dimanche soir, avec notamment des incendies à la mairie de Koumac, dans les locaux de la police municipale de Dumbéa, une attaque contre une gendarmerie à Maré et des actes présumés de «destruction et de vandalisme» dans différents quartiers de Nouméa. La chaîne de télévision Nouvelle-Calédonie la 1ère a également fait état de troubles dans les quartiers de Vallée-du-Tir, Magenta et Tuband.

Des barricades ont de nouveau été érigées sur l'île principale. Le correspondant d'Islands Business, Nic Maclellan, a posté sur X/Twitter une scène de manifestation à Poya, à la frontière des provinces du Nord et du Sud. Jusqu'à présent, les manifestations se concentraient à Nouméa et dans les villes environnantes du sud, mais elles s'étendent au-delà de la capitale. Sur l'île extérieure de Lifou, la piste d'atterrissage a été endommagée et tous les vols d'Air Calédonie ont été annulés.

Le réseau indépendantiste Solidarité Kanaky a organisé dimanche une manifestation d'urgence devant le ministère de la Justice à Paris pour dénoncer les expulsions et demander la libération des détenus. L'organisation dénonce la «criminalisation du CCAT» et les «arrestations abusives, qui visent une fois de plus à répondre aux attentes des «loyalistes» les plus radicaux».

Il ne fait aucun doute que le transfert de prisonniers a été organisé au plus haut niveau de l’État français, y compris par Macron. Paris a transformé la colonie de 270.000 personnes en un camp armé avec plus de 3.700 agents de sécurité, soutenus par des véhicules blindés anti-émeutes, des hélicoptères et d’autres équipements lourds. Des centaines de militaires patrouillent dans les rues et un couvre-feu est maintenu de 20 heures à 6 heures du matin.

Malgré les efforts des autorités pour rejeter la responsabilité sur une poignée de dirigeants du CCAT, les émeutes ont éclaté d’en bas et échappent au contrôle des partis officiels «indépendantistes». Ces troubles expriment un mécontentement social croissant, en particulier chez les jeunes kanaks au chômage et marginalisés qui ne voient aucun avenir dans un contexte d’inégalités criantes et de crise économique croissante. Maclellan a déclaré sur X/Twitter qu’ils «ont brûlé des symboles de richesse et pris pour cible de grands centres commerciaux et des entreprises. Ils vivent dans des zones urbaines et sont confrontés à des difficultés quotidiennes. Avec leurs familles, ils sont dans la pauvreté. Ils n’ont pas d’emploi.»

En pleine campagne électorale en France, le Rassemblement national d’extrême droite soutient les réformes de Macron, la «restauration de l’ordre» et la poursuite de la domination coloniale française sur la Nouvelle-Calédonie.

Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise (LFI), membre du Nouveau Front populaire, a déclaré que le transfert de Tein en prison était «une aliénation de ses droits et une erreur politique grave et dramatique». Il a accusé Macron d'être responsable des troubles civils dans le territoire. La déclaration électorale commune du Front appelle à abandonner les réformes en Nouvelle-Calédonie comme un «geste d'apaisement» et à revenir «sur la voie du dialogue et de la recherche du consensus».

C’est une fraude. Quel que soit le résultat des élections, l’impérialisme français n’est pas prêt à céder le contrôle de ce territoire stratégiquement important, avec sa base militaire majeure et ses réserves de nickel. Toutes les factions de l’establishment politique préparent une guerre intensifiée contre la classe ouvrière dans le pays et dans ses colonies, ainsi que la guerre à l’extérieur.

(Article original publié en anglais le 25 juin 2024)

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