Le 5 décembre, la Confédération des travailleurs argentins (CTA) a organisé une série de manifestations de masse dans tout le pays pour demander la destitution du président fasciste Javier Milei. La CTA comprend des fonctionnaires, des enseignants et des travailleurs du cinéma, dont les emplois et les salaires ont été brutalement attaqués par les mesures d'austérité de l'administration Milei.
Les manifestants du CTA ont été rejoints par des étudiants, des retraités, des travailleurs occasionnels ou informels, des membres des Madres de Plaza de Mayo, des mères de victimes de la dictature militaire de 1976-83, des représentants des soupes populaires du pays et des organisations staliniennes et de la pseudo-gauche.
Les syndicats représentés par la Confédération générale des travailleurs (Confederación Gerneral de los Trabajadores – CGT), la plus ancienne et la plus importante organisation syndicale d'Argentine, ont brillé par leur absence.
L'absence des syndicats de la CGT était conforme à une décision prise 16 jours avant les manifestations du 5 décembre. Le 19 novembre, les principaux bureaucrates de la CGT ont déclaré une « trêve » avec l'administration Milei, reportant toute grève ou manifestation au moins jusqu'en 2025 et annulant toute idée de « stratégie de lutte » (plan de lucha).
Pablo Moyano, qui dirige le syndicat des camionneurs (Camioneros), s'est opposé à la déclaration de trêve, n'a pas assisté à la réunion du 19 novembre et a démissionné de son poste au sein du triumvirat de la CGT, puis de la confédération. Il a refusé de participer à la réunion du 5 décembre.
En l'absence de Moyano, les dirigeants restants de l'appareil de la CGT choisissent de participer à un dialogue tripartite, incluant l'administration Milei, le grand patronat et les syndicats.
La démission de Moyano a été notée et saluée par les représentants du gouvernement, dans le cadre de l'attaque du gouvernement contre ce que Milei appelle la « caste », un terme qu'il utilise pour caractériser tous ceux qui jouissent prétendument de « privilèges » en raison de leurs liens avec le secteur public, depuis les partis politiques de l'establishment jusqu'aux syndicats, en passant par les professeurs d'université et les retraités appauvris.
Selon la direction de la CGT, certains signes indiquent que l'économie s'améliore et que les emplois reviennent dans le secteur de la construction et dans d'autres industries. C'est pourquoi elle a suspendu toutes les manifestations et s'apprête à négocier avec l'administration Milei et les grandes entreprises. Les partisans de Moyano au sein du syndicat des camionneurs souhaitaient une grève nationale de protestation de 36 heures en fin d'année.
Alors que la CGT a été lancée dans les années 1930 en tant que conglomérat de syndicats anarchistes, staliniens et socialistes, elle s'est rapidement intégrée au mouvement nationaliste bourgeois du président Juan Perón lors de son accession au pouvoir en 1943, dans le cadre d'une junte militaire. Pendant la période d'abondance de l'après-guerre, le péronisme a tenté de rapprocher les intérêts des capitalistes industriels de ceux des travailleurs. La CGT a formé le Parti travailliste qui a permis à Perón d'être élu en 1946.
En 1952, l'économie argentine était en déclin et a laissé place, sous Perón, à une période inflationniste qui culmine avec le renversement de Perón par une faction fasciste et catholique de l'armée. Cependant, de nombreuses concessions faites par le capitalisme argentin aux travailleurs sont restées en place.
Sous Milei, ce qui restait des réformes obtenues au terme de décennies de lutte par la classe ouvrière argentine, concernant les salaires, la sécurité sociale, les subventions aux soins de santé, l'éducation publique, le temps de travail et les conditions de travail, est aujourd'hui jeté aux orties pour attirer les capitaux d'investissement. C'est ce à quoi la CGT accepte maintenant de ne pas résister. La soi-disant trêve est en fait un abandon des derniers acquis historiques de la classe ouvrière.
Après l'éviction de Perón, la CGT est restée dominée par l'aile fasciste du mouvement péroniste. Lorsque Perón est rentré en Argentine le 20 juin 1973 après 18 ans d'exil, des hommes de main de la CGT armés de fusils ont participé à une attaque contre des foules d'étudiants péronistes radicalisées et de jeunes travailleurs qui attendaient l'atterrissage de leur leader à l'aéroport d'Ezeiza. Le massacre d'Ezeiza a fait 13 morts et un nombre indéterminé de blessés, et a ouvert la voie à la formation des escadrons de la mort de l'Alliance anticommuniste argentine (Triple A) associés à la CGT, dont le dirigeant du syndicat des camionneurs de l'époque, Hugo Moyano, le père de Pablo Moyano.
En réprimant les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière argentine depuis 1968 contre les attaques croissantes contre leurs organisations et leurs conditions sociales et de travail, la direction de la CGT a joué un rôle fondamental en ouvrant la voie à l'installation d'une junte militaire fasciste par le biais du coup d'État soutenu par les États-Unis qui a renversé les péronistes en mars 1976 et la répression encore plus brutale qui s'en est suivie.
À ce jour, la CGT soutient les factions péronistes dont les représentants au Congrès, les gouverneurs et d'autres fonctionnaires ont facilité les mesures d'austérité de Milei.
La CGT a également décidé d'améliorer ses relations avec l'Église catholique, l'organisation la plus politiquement réactionnaire qui existe en Argentine, en proposant d'entamer une « nouvelle étape » dans ses relations avec les principaux dirigeants catholiques.
Milei a maintenant le soutien de pratiquement toutes les sections de la bourgeoisie : agraire, industrielle, extractive et financière. En même temps, il lie l'armée argentine à celle des États-Unis et aligne sa politique étrangère sur celle de Washington, tout en s'identifiant au sionisme extrême, jusqu'à l'utilisation constante d'allusions bibliques.
Loin d'être un ennemi de la « caste » dirigeante ou du grand gouvernement, il crée un État corporatiste, à la manière du fasciste italien Benito Mussolini, où toutes les institutions sont des organes de l'État pour garantir la remontée des profits vers les banques et la grande bourgeoisie.
Alors que les dirigeants de la CTA ont adopté une attitude plus combative, par le biais de courtes grèves de protestation et de manifestations de masse, l'intention de cet appareil syndical est de faire pression sur Milei et le Congrès pour qu'ils reviennent sur certaines politiques d'austérité, ainsi que sur les réductions de pensions, d'emplois et de salaires pour les travailleurs du gouvernement.
Dans cette entreprise en faillite, la bureaucratie syndicale bénéficie d'une couverture « de gauche » des organisations de la pseudo-gauche du Front uni de la gauche ouvrière (FIT-U), une alliance électorale de quatre partis se réclamant du trotskisme. Ces partis continuent de canaliser l'opposition derrière la CGT, la CTA et Pablo Moyano en les appelant à prendre la tête du mouvement en appelant à davantage de grèves et en proposant une « stratégie de lutte ».
Le mois dernier, Libertad Avanza de Milei a rejoint les législateurs péronistes pour bloquer un projet de loi intitulé « Démocratie syndicale » présenté par le parti rival de l'Union civique radicale, qui introduisait des limites à la réélection des dirigeants syndicaux, une plus grande représentation des factions minoritaires dans les organes de direction, l'élimination des « cotisations de solidarité » obligatoires pour les non-membres et des mesures visant à « démocratiser » les sociétés syndicales d'assurance maladie, qui sont gérées de manière à enrichir les bureaucrates.
Un mois plus tôt, le chef de cabinet de Milei, Guillermo Francos, avait ordonné aux législateurs du parti au pouvoir au sein de la Commission du travail du Congrès de voter contre le projet de loi, en se fondant explicitement sur une demande formulée par la CGT. Ils ont contribué au boycott du projet de loi jusqu'au dernier moment. Ce n'est qu'une fois qu'il était clair qu'il allait échouer que cinq législateurs de Libertad Avanza ont voté en faveur du projet de loi afin de maintenir leur alliance avec les radicaux.
Le seul législateur de la FIT-U de la commission, Alejandro Vilca du Parti des travailleurs socialistes (PTS), a également rejeté le projet de loi, qui a finalement été rejeté à une voix près. Plus important encore, il a gardé le silence dans son intervention sur le partenariat corrompu de l'administration Milei avec la bureaucratie syndicale péroniste, indiquant clairement que les politiciens et les dirigeants syndicaux de la FIT-U agissent eux-mêmes comme un flanc gauche pour l'organisation corporatiste capitaliste, que ce soit sous les péronistes ou sous le fasciste Milei.
L'administration Milei avait déjà accepté d'éliminer 42 articles de sa réforme du travail qui auraient supprimé le paiement obligatoire des cotisations pour les non-membres et l'accès à d'autres privilèges pour la bureaucratie syndicale. Ces mesures profitent à la CGT, au CTA et aux syndicats dirigés par la pseudo-gauche.
L'impérialisme américain, qui a travaillé en étroite collaboration et financé les syndicats péronistes fascisants dans les années 1960 et 1970, encourage non seulement ce partenariat entre l'appareil syndical et Milei, mais il le considère comme un exemple à suivre pour l'administration Trump entrante. Le ministère du Travail de Biden a tenu plusieurs réunions avec les dirigeants de la CGT et les responsables de Milei, exigeant qu'ils travaillent ensemble, tout en qualifiant l'appareil syndical péroniste de « modèle ».
Après l'une de ces réunions avec l'ambassadeur américain de Biden en Argentine, Marc Stanley, Pablo Moyano, désormais mécontent, a déclaré : « En fait, nous avons été surpris : il est beaucoup plus péroniste que beaucoup des nôtres. Il a souligné la fonction sociale et syndicale des syndicats américains. »
Aujourd'hui, la direction de la bureaucratie syndicale américaine fait des pieds et des mains pour s'incruster auprès de Trump et de son cabinet de milliardaires et de fascistes. Cela s'est exprimé très clairement par le soutien apporté par la présidente de l'AFL-CIO, Liz Schuler, la présidente de la Fédération américaine des enseignants, Randi Weingarten, le président des Teamsters, Sean O'Brien, et d'autres bureaucrates à la nomination par Trump de la républicaine Lori Chavez-DeRemer au poste de secrétaire d'État au Travail.
La classe ouvrière argentine ne peut défendre ses droits qu'en joignant ses luttes à celles de la classe ouvrière internationale. La lutte contre Milei et ses soutiens impérialistes est liée à la lutte pour établir des gouvernements socialistes de la classe ouvrière : abolir l'État-nation, prendre le contrôle des moyens de production et gérer démocratiquement les industries, les exploitations agricoles et le système bancaire. La première étape doit être la construction d'un véritable parti trotskiste en Argentine en tant que section du Comité international de la Quatrième Internationale.
(Article paru en anglais le 14 décembre 2024)