Le résultat de deux élections partielles au Canada montre l’urgence pour les travailleurs de rejeter l’alliance syndicats-NPD-libéraux

Le résultat de deux élections partielles dans les provinces canadiennes du Québec et du Manitoba, lundi dernier, met en lumière la crise de perspective politique à laquelle est confrontée la classe ouvrière.

Bien qu'ils indiquent une hostilité populaire croissante à l'égard de l'alliance de droite pro-guerre et pro-austérité entre le gouvernement libéral minoritaire, la bureaucratie syndicale et le Nouveau Parti démocratique (NPD), l'absence d'une alternative politique de la classe ouvrière laisse le champ libre aux forces politiques réactionnaires : les conservateurs du chef d'extrême droite Pierre Poilievre et le Bloc Québécois (BQ), un parti chauvin anti-immigrés.

Le chef du NPD Jagmeet Singh et le Premier ministre libéral Justin Trudeau [Photo: YouTube]

Dans le résultat le plus significatif, Justin Trudeau et ses libéraux ont perdu l'un de leurs sièges québécois les plus sûrs au profit du BQ, le parti frère fédéral du Parti Québécois indépendantiste. Dans la circonscription montréalaise de LaSalle-Émard-Verdun, que les libéraux ont remportée par plus de 10.000 voix lors des élections générales de 2021, la candidate libérale Laura Palestini a perdu par 248 voix face à Louis-Philippe Sauvé du BQ. Le NPD s'est classé troisième de justesse.

Si un mouvement de balancier d'une ampleur similaire se produisait au Québec lors des prochaines élections, au moins une douzaine de libéraux perdraient leurs sièges.

La défaite de lundi marque la deuxième défaite des libéraux aux élections partielles en trois mois dans un siège urbain considéré comme l'un de leurs plus sûrs. En juin, ils ont perdu Toronto-St. Paul's au profit des conservateurs, donnant à l'opposition officielle une représentation dans la région métropolitaine de Toronto, la ville la plus peuplée du pays, pour la première fois depuis 2015.

Le NPD a conservé la circonscription ouvrière d'Elmwood-Transcona, à Winnipeg lors de la deuxième élection partielle qui s'est tenue lundi, en battant les conservateurs.

Leila Dance, directrice d'une organisation à but non lucratif visant à promouvoir le développement des petites entreprises et des sociétés à Transcona, a conservé le siège qui a été représenté par un néo-démocrate sans interruption au cours des 45 dernières années. Sa marge de victoire n'a toutefois été que de 4 %, car les conservateurs, dont le candidat a été présenté par Poilievre comme un fier membre de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE), ont vu leur part de voix augmenter de 20 %, pour atteindre 44 %.

La part de voix des libéraux s'est quant à elle effondrée, perdant plus de 10 points de pourcentage pour n'atteindre que 4,8 %. Il s'agit de l'un des pires résultats jamais obtenus par le parti lors d'élections partielles depuis plus d'un siècle et demi.

Bien que les conservateurs n'aient remporté aucune des deux élections partielles, les résultats ont confirmé ce que les sondages d'opinion indiquaient depuis un an. Le soutien des libéraux s'effrite. Et les conservateurs, s'appuyant sur un appel social démagogique – attaquant la «coalition» libérale-néo-démocrate, les taxes sur le carbone et la «Justinflation» pour la crise qui secoue manifestement le pays, et profitant du ralliement de puissantes sections de la classe dirigeante derrière Poilievre –, semblent prêts à prendre le pouvoir lors des prochaines élections.

Le bilan anti-ouvrier et pro-guerre du gouvernement libéral soutenu par les syndicats et le NPD

Les électeurs tournent le dos aux libéraux et aux néo-démocrates parce que ces deux partis ont démontré, soit au sein du gouvernement, soit par le soutien qu'ils lui ont apporté, qu'ils sont les garants impitoyables des intérêts de la classe dirigeante canadienne, y compris de sa politique étrangère impérialiste. Ils ont présidé à une énorme réduction des salaires réels, à une crise nationale du logement, à l'effondrement des services publics, à la criminalisation des grèves de travailleurs dans les secteurs du transport et de la logistique et au soutien du génocide israélien contre les Palestiniens.

Au cours des neuf dernières années, le Premier ministre Justin Trudeau a supervisé une expansion massive du budget militaire canadien et s'est assuré qu'Ottawa joue un rôle majeur dans la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine et dans l'offensive économique et militaro-stratégique unilatérale de Washington contre la Chine.

La posture initiale de Trudeau en tant qu'ami des réfugiés et des immigrés a depuis longtemps été abandonnée au profit d'un programme anti-immigrés brutal basé sur le bouclage des frontières du Canada et la collaboration avec le pouvoir en place à Washington pour expulser les immigrés «illégaux».

Pendant la pandémie de COVID-19, le gouvernement Trudeau a remis 650 milliards de dollars aux entreprises canadiennes et aux banques du jour au lendemain, ce qui a été suivi d'une campagne meurtrière visant à rouvrir l'économie et à infecter l'ensemble de la population avec un virus mortel afin de protéger les profits des entreprises au détriment des vies humaines.

Depuis 2019, le gouvernement minoritaire de Trudeau n'a pu mettre en œuvre son programme anti-ouvrier que grâce à la répression de la lutte des classes par les syndicats et au soutien politique indéfectible qu'il a reçu du NPD. Les néo-démocrates ont assuré aux libéraux une majorité parlementaire sur tous les votes clés, y compris les augmentations majeures des dépenses militaires et les budgets d'austérité pour les services publics. Quelques semaines seulement après l'invasion de l'Ukraine par la Russie à l'instigation de l'OTAN, le NPD a codifié ce soutien dans un accord de confiance et d'approvisionnement visant, selon les termes du chef du NPD, Jagmeet Singh, à garantir la «stabilité politique». Le gouvernement Trudeau a utilisé cette stabilité pour acheminer des milliards de dollars d'armes au régime d'extrême droite de Kiev et pour mener une campagne de répression contre les opposants au génocide de Gaza, qui ont été traités d'antisémites.

Alors que les États-Unis et la Grande-Bretagne s'apprêtent à approuver l'utilisation par l'Ukraine de leurs missiles et de leur soutien logistique et de ciblage pour effectuer des frappes de missiles à longue portée à l'intérieur de la Russie, Trudeau a publiquement proclamé le soutien total du Canada. Le fait que personne au parlement n'ait critiqué cette escalade imprudente, qui reviendrait à déclencher une guerre directe entre l'OTAN et la Russie, souligne que l'ensemble de l'establishment politique est prêt à risquer une guerre mondiale, y compris l'utilisation d'armes nucléaires, pour faire avancer les objectifs prédateurs de l'impérialisme canadien à l'échelle mondiale.

Tout au long du mandat de Trudeau, le soutien de la bureaucratie syndicale canadienne à son gouvernement a été décisif. Le Congrès du travail du Canada (CTC) et Unifor ont fait campagne pour son élection en 2015, sous la bannière «N’importe qui sauf les conservateurs», et ont contribué à façonner les efforts du gouvernement pour consolider un bloc commercial nord-américain qui servira de base à une guerre commerciale agressive et à des opérations militaires contre les rivaux de Washington et d'Ottawa dans le monde entier.

Ils ont également saboté toutes les grandes luttes de la classe ouvrière, en les isolant, en insistant sur le fait que les emplois, les salaires et les conditions de travail des travailleurs doivent être subordonnés aux profits des entreprises et à la «compétitivité», et en travaillant d'arrache-pied pour les empêcher de devenir le catalyseur d'une contestation par la classe ouvrière du gouvernement et du programme de la classe dirigeante en matière de «discipline fiscale» à l'intérieur du pays et de guerre impérialiste à l'étranger.

Grève des débardeurs de Colombie-Britannique en juillet 2023 [Photo: ILWU Canada/Facebook]

Lorsque le gouvernement, en collaboration avec les employeurs, a utilisé les pouvoirs arbitraires de l'État pour criminaliser l'action des travailleurs, comme dans le cas des travailleurs de Postes Canada, des débardeurs du port de Montréal, des débardeurs de la côte ouest et, plus récemment, des cheminots, il a ordonné aux travailleurs de se soumettre.

La comédie du chef du NPD et la répression de la lutte des classes par les syndicats

Au début du mois, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déclaré qu'il avait «déchiré» l'accord de confiance et d'approvisionnement conclu avec les libéraux. Mais tout cela n'était que de la comédie politique : une manœuvre entreprise pour mieux positionner le NPD et ses bailleurs de fonds dans la bureaucratie syndicale afin d’étouffer la lutte des classes et de protéger le parti d’une catastrophe électorale.

Elle ne représentait en aucun cas une rupture de l'alliance politique des bureaucrates syndicaux avec le parti de gouvernement traditionnellement privilégié par l'élite dirigeante canadienne.

Lors de la conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé la rupture officielle de l'alliance gouvernementale entre le NPD et les libéraux, Singh a refusé de s'engager à faire tomber le gouvernement avant les élections prévues en octobre 2025. Il n'a pas non plus voulu, ou pu, expliquer les divergences politiques qui l'opposent à Trudeau.

Au lieu de cela, il a vanté les minuscules augmentations des dépenses sociales que le NPD aurait arrachées au gouvernement en échange de son maintien au pouvoir et a déclaré qu'il se battrait aux prochaines élections contre les «coupes conservatrices». Ce n'est qu'une autre façon de présenter les libéraux comme une alternative «progressiste» aux conservateurs.

La réaction de la présidente du CTC, Bea Bruske, à la fin de l'accord n'a pas été moins importante. Dans une déclaration du 14 septembre, la présidente de la plus grande fédération syndicale du Canada a salué l'accord de deux ans et demi en des termes élogieux et a fait miroiter la possibilité de le renouveler le plus tôt possible. Il a produit «des progrès réels qui ont concrètement amélioré la vie des Canadiens», une affirmation qu'elle n'a pas réussi à expliquer avec l'explosion des dépenses militaires, l'augmentation de la pauvreté et des inégalités sociales, la poursuite de la détérioration des services publics et l'intervention du gouvernement pour briser les grèves qui ont caractérisé la période de l'accord.

Après avoir longuement dénoncé Poilievre et les conservateurs comme étant hostiles aux travailleurs, et sans même mentionner Trudeau, Bruske a affirmé que «les Canadiens seront confrontés à un choix crucial lors des prochaines élections. Pour l'avenir, nous avons besoin de dirigeants qui défendront véritablement les intérêts des travailleurs et qui s'uniront pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les Canadiens».

La position de Bruske, selon laquelle les dirigeants et les partis doivent «s'unir» pour arrêter les méchants conservateurs, a été préconisée par la bureaucratie syndicale du Canada au cours des 30 dernières années. Loin de freiner la dérive à droite de la politique officielle, elle l'a facilitée en muselant politiquement la classe ouvrière, en permettant à la classe dirigeante de faire avancer son programme et en donnant l'initiative aux forces politiques les plus réactionnaires.

C'est la ligne utilisée pour démobiliser et désorienter le mouvement de masse qui s'est développé en Ontario contre le gouvernement conservateur de droite dure de Mike Harris à la fin des années 1990 ; l'opposition qui a émergé parmi des sections clés des travailleurs à la restructuration des relations de classe à la suite de la crise économique mondiale de 2008 ; et, plus récemment, les luttes de masse déclenchées par la politique de pandémie «les profits avant les vies» de l'élite dirigeante, et le virage vers la guerre impérialiste et le soutien au génocide.

Au cours des deux dernières années, une vague militante de luttes ouvrières a déferlé sur tous les secteurs de l'économie. Qu'il s'agisse des travailleurs de l'éducation en Ontario, des débardeurs de la côte ouest, des cheminots de tout le pays, des travailleurs du secteur public au Québec ou des ouvriers de l'automobile des usines du sud de l'Ontario, les travailleurs ont mené des grèves déterminées.

Ces grèves se sont invariablement heurtées aux manœuvres de sabotage de l'appareil syndical et, le plus souvent, à l'intervention ouverte de l'État contre elles. Pour l'emporter dans ces luttes, les travailleurs devaient en prendre la direction en créant des comités de base et mettre en œuvre une stratégie visant à les élargir, à mobiliser le soutien de la classe ouvrière à travers le Canada et à l'échelle internationale, à défier les briseurs de grève de l'État et à développer une contre-offensive industrielle et politique de la classe ouvrière contre l'austérité et la guerre.

Ces luttes ont une fois de plus démontré l'immense pouvoir social de la classe ouvrière, les grandes entreprises exigeant que les grèves des travailleurs soient criminalisées parce qu'elles «paralysent» la vie économique. En outre, elles se sont développées dans le cadre d'un mouvement mondial croissant de la classe ouvrière, qui s'est déployé avec autant de force aux États-Unis et en Europe.

Le défi politique auquel est confrontée la classe ouvrière

Cependant, cette réalité objective doit être conscientisée dans l'esprit des travailleurs et animer leurs actions. La grande faiblesse de la vague de grèves jusqu'à présent est qu'elle n'a pas encore rompu politiquement – malgré l'hostilité des travailleurs envers les bureaucrates syndicaux individuels ou les syndicats – avec la perspective syndicaliste nationaliste et pro-capitaliste et l'alliance de la bureaucratie pour la responsabilité fiscale capitaliste et la guerre impérialiste avec les libéraux et les néo-démocrates du grand capital.

La lutte pour ce réalignement politique sur la base d'un programme socialiste et internationaliste devient de plus en plus urgente. D'autant plus que l'alternative est le renforcement des forces d'extrême droite et la promotion du chauvinisme anti-immigrés et des différences ethnolinguistiques pour monter les travailleurs les uns contre les autres.

Ce danger a été mis en évidence lors des élections partielles de lundi. La répudiation décisive des libéraux dans leur fief de Montréal a entraîné la victoire du chauviniste BQ, dont le parti frère, le PQ, fait la promotion d'une version québécoise de la «théorie du Grand Remplacement» fasciste, affirmant que les immigrants sont une «menace existentielle pour la nation québécoise». Alors que le BQ-PQ soutient pleinement le programme de guerre de l'impérialisme canadien, tant que le Québec obtient sa juste part des contrats d'armement, il attise, avec l'aide de la bureaucratie syndicale, les animosités entre les travailleurs francophones et anglophones afin de convaincre les travailleurs québécois qu'ils ont plus en commun avec leurs patrons francophones qu'avec les travailleurs de tout le Canada. Cette perspective a été résumée par le chef péquiste Paul St-Pierre-Plamondon, qui a déclaré, après la victoire du BQ aux élections partielles pour lesquelles il a fait campagne, qu'Ottawa est un environnement «hostile» où les Québécois sont toujours sur la «défensive».

À Winnipeg, la chute du soutien au NPD et aux libéraux a entraîné des gains importants pour les conservateurs, qui, à l'instar de leurs collègues du Parti républicain aux États-Unis, se transforment de plus en plus en un mouvement d'extrême droite et fasciste. Le chef des conservateurs, Pierre Poilievre, qui est largement en tête des sondages et réclame des élections anticipées depuis des mois, s'est imposé comme chef de parti en raison de son rôle de défenseur acharné du «Convoi de la liberté» fasciste qui a occupé le centre-ville d'Ottawa en janvier-février 2022 et dont les organisateurs ont exigé la mise en place d'une junte pour abolir les mesures de santé publique contre la COVID-19.

La capacité d'une telle racaille politique à passer à l'offensive est due avant tout à l'impact paralysant sur la classe ouvrière de l'alliance entre les syndicats, le NPD et les libéraux. Une lutte résolue pour clarifier politiquement la classe ouvrière sur la façon dont cette alliance sert de mécanisme essentiel par lequel la classe dirigeante étouffe la lutte de classe jettera les bases du développement de nouvelles organisations de lutte de classe. Et cette lutte permettra la mobilisation politique indépendante des travailleurs canadiens aux côtés de leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis et à l'échelle internationale dans l'opposition à la barbarie capitaliste et pour la transformation socialiste de la société.

(Article paru en anglais le 21 septembre 2024)

Loading